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Cinquième bouteille à la mer - Le grand saut vers le Cap Vert - 22 novembre 2003

Sixième bouteille à la mer - La traversée de l'Atlantique du 28/11 au 18/12 - 26 décembre 2003

 

Cinquième bouteille à la mer : le grand saut vers le Cap Vert

 

Mon passage sur l'île de  Gran Canaria sera de courte durée, j'y suis venu pour retrouver les copains, et faire un départ plus ou moins groupé vers le Cap Vert. Après quelques hésitations que je relatais dans l'épisode précédent, j'ai finalement une place impeccable dans le port, je vais pouvoir tranquillement préparer le bateau pour la suite.
Michel avait loué une voiture, il me la prête quelques heures, je vais faire un petit tour vers l'intérieur de l'île ; le problème quand on voyage en bateau, c'est qu'on est un peu accroché au port, tous les moyens sont bons pour s'éloigner de plus de 500 mètres du mouillage ! Mais ce n'était pas le bon jour... Pluie et nuages, Ce n'est pas aujourd'hui que je vais tomber sous le charme de ce coin. Je pars explorer la côte proche, et là, c'est l'horreur : imaginez une côte sauvage, très rocheuse, très sèche, pas de végétation, mais hélas pour elle, une côte exposée au sud, par 27° de latitude, le tropique n'est pas loin. Ajoutez à ça quelques promoteurs - les promoteurs ont toujours le rôle du méchant, mais à mon avis ils ne sont pas seuls, il y a aussi des gens qui signent des autorisations - et ça vous donne une côte massacrée : des étagères à touristes partout dès qu'il y a un coin avec vaguement vue sur la mer, du HLM tropical. Chacun doit avoir sa terrasse d'où il peut apercevoir au moins un petit  bout d'océan, alors on empile des studios qui escaladent la pente, je découvre une concentration incroyable de logements dans des petites criques, et 20 mètres après le dernier studio, c'est à nouveau le désert de pierre, l'espace... La côte est rocheuse, donc pas de belles plages ; qu'à cela ne tienne, on fait quelques fausses plages avec sable rapporté, on plante quelques cocotiers, et le tour est joué. Comment peut-on avoir envie de venir passer ses vacances ici ?

La vie de ponton continue, et pour l'apéro, tout le monde boit des "caïpirinhas", des punchs brésiliens absolument délicieux, mais du modèle "frappe qu'un coup" ! Un soir dans un petit resto à l'écart des circuits touristiques, je mange un "T-bone steack" garanti argentin absolument fondant, pas de doute, l'Amérique approche.
Mercredi pluie, on part pas... Jeudi matin pluie, on part pas...
Je pars vendredi 24 octobre à 10h30, avec à bord Marion, Clément et Michel : ils m'aident à m'extirper du coin minuscule où je suis garé ; je vais faire du fuel, puis je les laisse sur le quai. Sophie salue mon départ d'un coup de corne de brume : hasta luego !
Si tout va bien, Samos part vers 14h, après le repas, et rendez-vous à l'île de Sal, au Cap Vert.

L'archipel du Cap Vert, c'est une dizaine d'îles au large de l'Afrique, à environ 300 milles nautiques de Dakar, et 800 milles des Canaries. C'est une ancienne colonie portugaise, indépendante depuis une trentaine d'années. C'est l'Afrique, nous quittons l'Europe et ses ports bien équipés. On arrive dans une zone où chaque plaisancier est milliardaire en comparaison des autochtones. J'imagine que ça ne sera pas toujours simple à vivre.

Je suis parti depuis 2 jours, et la météo n'est pas très conciliante : je fais du près serré, ou bien c'est la pétole, ou bien encore j'ai eu une heure avec 20-25 noeuds de vent la nuit dernière vers deux heures du mat', suivie d'une petite averse... Bon, je ne me plains pas, il fait beau, je lis. Après "Les allumettes suédoises" et "3 sucettes à la menthe", j'attaque "Les noisettes sauvages".
J'ai perdu Samos à la VHF, on espérait se suivre un peu, mais la mer est grande, nos VHF ne portent pas à beaucoup plus de 15 milles nautiques, une trentaine de km. Jusqu'à  l'arrivée, je tenterai de les appeler une fois de temps en temps, et j'apprendrai plus tard qu'eux aussi ont fait de même.
Nuit en mer magnifique. Grand calme. Pas de lune, mais la lumière des étoiles suffit, et l'eau est tellement lisse que les planètes et les grosses étoiles s'y reflètent. Des dauphins viennent tourner autour du bateau en faisant "Fffssshhhh... Fffssshhhh..." Ils dorment sans doute à moitié, mais Balum doit les intriguer.
Chaque nuit, deux ou trois cargos passent sur l'horizon, leur route est parallèle à la mienne, mais je les surveille quand même un peu.
Ce matin, 2 heures de moteur, la mer est un miroir à peine troublé par une grande houle paisible que nous envoient les tempêtes de l'Atlantique nord. J'espérais arriver dans une zone avec un peu de vent, mais non, toujours rien. J'observe des dauphins dans le sillage, ils font des bonds fantastiques.

Encore une nuit somptueuse. La nuit en mer, vous le savez, l'eau est pleine de phosphorescences, même en Bretagne, mais si, mais si. Ici, ça prend des proportions tropicales : par moments, autour du bateau, il y a des explosions de lumière, des boules verdâtres de 50 centimètres de diamètre qui s'éteignent au bout de quelques secondes. Je me mets à l'arrière de Balum et j'éclaire avec une torche puissante : je vois sous l'eau à plusieurs mètres de profondeur et le spectacle est irréel : on dirait une masse de gelée transparente avec des flocons fluorescents gros comme des oranges en suspension. Plus tard, dans la nuit noire, des dauphins viennent tourner autour de Balum, je vois leur silhouette dessinée par la phosphorescence du plancton, des torpilles lumineuses, et leur sillage me fait penser aux petites étoiles qui accompagnent la fée Clochette dans Peter Pan. Pour ceux qui ont vu le fim "Abyss", on s'y croirait.
Grand plaisir également, les poissons volants ; le premier, j'ai cru que c'était une grosse libellule, et puis après une réflexion de 0,5 seconde, je me suis dit qu'elle était un peu trop loin de la terre, 300 milles... Après, j'en ai vu régulièrement, des escadrilles de petits poissons qui décollent sur le dos des vagues, ou des gros solitaires ; une chose est sûre, ils ne planent pas, ils volent ! On les voit suivre avec précision les ondulations des vagues, ils tournent, ils peuvent voler, paraît-il, sur des distances jusqu'à 300 mètres. Le dernier matin, en arrivant sur l'île de Sal, je les observais en approchant du mouillage. Loïc vient m'aider à mouiller l'ancre, et c'est lui qui en découvre sur le pont à l'avant de Balum, 3 poissons qui ont raté leur amerrissage. Ils sont déjà un peu secs, je ne sais pas depuis combien de temps ils sont là.

Le mardi 28 octobre 2003, vers 18 heures, je passe le tropique du Cancer, latitude 23° 27' !

Après 4 ou 5 jours un peu trop tranquilles, le vent monte. Il va même monter un peu trop à mon goût. Les prévisions météo annoncent "vent force 4 à 6, localement 7", et ça va être 6 à 7 avec des rafales à  8... Balum est un bon bateau, mais dans ces situations-là, c'est le captain qui a des défaillances ! Les vagues montent de plus en plus, elles vont sans doute atteindre 4 à 5 mètres, parfois plus, et elles sont assez raides, avec des déferlantes un peu partout. Les nuits vont être pénibles, plus moyen de dormir, je guette dans la descente du bateau, au cas où... La tempête crée la grande houle, bon. Le problème c'est quand il y a 2 trains  de houle qui se croisent. Balum prend la houle principale par l'arrière, la coque se soulève, tout va bien. Et puis tous les ¼ d'heure, une grosse vague arrive de ¾ arrière, provoque un départ au lof, le pilote automatique est débordé, Balum se prend un coup de gîte de 30° ou plus, accélère... Et enfin, au bout d'interminables secondes le pilote reprend le contrôle, ouf ! Ca a duré 36 heures comme ça. Imaginez l'humeur du captain... Je me fais secouer comme dans un shaker, il fait un temps moche, pas de dauphins, pas de baleines, l'humeur est pour le moins morose... Je me cale dans la descente, entouré de coussins, pour épargner les bleus que je me suis fait en valdinguant lors d'un départ au lof. Et je lis. Mais franchement, naviguer dans ces conditions, ce n'est pas vraiment du plaisir. Dire que je pourrais être tranquillement derrière un bureau, en train de faire des listes et des tableaux...

Le dernier jour, le vent baisse un peu, pas assez à mon goût, force 5 avec rafales à 6. Petits calculs à la table à cartes, je vais arriver à l'île de Sal en pleine nuit, il faut que je freine. Je réduis la grand'voile au maximum, 2 ris, et je roule complètement le génois. Je vais encore à 5-6 nœuds. Trop vite. Je descends complètement la grand'voile, et je mets le génois au dernier ris, taille voile de planche à voile. Je vais encore à 4-5 nœuds. J'enroule la moitié de ma voile de planche, et enfin la vitesse tombe entre 3 et 4 nœuds. Il reste bien sûr les houles croisées des 2 jours précédents, et comme le bateau n'est plus appuyé sur un bord par une grande surface de voile, je me fais rouler dans tous les sens toute la dernière nuit...

Je m'arrange pour arriver vers 9 heures du matin à Sal ; temps bouché, vent force 5-6, j'espère que les copains sont là. Et tout à coup, la VHF me parle : c'est Christine, de Chrysalide, qui m'accueille, et puis Britta qui me souhaite bienvenue en Afrique ! Et puis Eric qui me guide pour arriver au mouillage sans encombre. Loïc m'attend à l'entrée du port, 20 nœuds de vent, avec son annexe, il embarque, et il va m'aider à mettre l'ancre : on s'y reprend à 3 fois, mais ça y est, c'est fini ! Le bateau ne bouge plus. Merci les copains, merci, mais j'en ai marre...
J'ai mis 8 jours pour faire environ 800 milles, dont une journée à 148 milles. Mais cette fin de traversée aura été un vrai pensum. Pourvu que la suivante, La Traversée, se passe mieux...

Je suis dans le port de Palmeira, sur l'île de Sal, un petit port plus ou moins protégé par une digue où accostent des petits cargos. L'alizé souffle, mais la mer est plate. Le mouillage est tranquille, une quarantaine de voiliers sont là.  
Ma première île de l'archipel. C'est l'Afrique, climat très sec, relief volcanique, très peu de végétation ; la première impression du village de Palmeira, c'est la pauvreté, c'est la saleté, les sacs plastiques qui volent, les gamins qui traînent, les jeunes désœuvrés... Contraste violent quand on arrive des Canaries. Mais ça fait du bien, y en avait marre des menus en anglais et en allemand dans les restaurants, avec steaks frites et hamburgers comme seules spécialités locales !

La descente s'est passée de façons variées pour les autres. Samos a fait une belle étape, Michel et Bibi sont ravis, et les enfants aussi. Chrysalide n'a pas eu de problème, mais Hobbit a cassé une pièce maîtresse du moteur, l'inverseur, et ça bien sûr en pleine pétole. Hobbit est un bateau lourd, pas fait pour le petit temps, il a plus besoin de moteur qu'un autre. Et puis un moteur, c'est une sécurité, pour éviter un cargo, pour les arrivées dans les ports. Hobbit a été très bien préparé, Loïc est minutieux, et il a de grosses compétences en voile, en mécanique...
Hobbit et Chrysalide avaient décidé de naviguer ensemble, et ils restaient à portée de VHF. Chrysalide va revenir sur Hobbit, pour faire le remorqueur pendant 48 heures sur une mer à peu près lisse. Mais cette avarie casse le moral de Loïc et Britta, et ils accusent le coup. Se faire expédier une grosse pièce mécanique par avion dans une île au bout du monde, ce n'est pas simple...
De mon côté, j'ai perdu la bouée-fer à cheval de Balum, emportée par une déferlante ; j'ai perdu en plein coup de vent le bout' de l'hydrogénérateur, une corde d'une quinzaine de mètres qui traîne une hélice dans l'eau : plus moyen de recharger les batteries... J'ai coincé la drisse de spi dans l'enrouleur de génois : plus moyen de réduire le génois, et ça bien sûr par force 7, autrement c'est pas drôle ! J'ai fini par réussir à redérouler le génois dans une accalmie, et tout est rentré dans l'ordre. Mais j'y suis allé à coups de marteau sur la drisse de l'enrouleur pour la décoincer... J'ai fait un bel accroc dans le génois, et d'ailleurs celui-ci s'use à toute vitesse, en particulier dans la calmasse : il tape, il claque, il s'accroche partout, et quand on en a ras le bol, on le roule, mais parfois trop tard. J'en ai marre...

2 jours de repos au calme, et ça va commencer à aller mieux. Le frère de Bibi vient sur Samos vers le 25 novembre pour traverser l'Atlantique, nous allons essayer de lui faire apporter la corde et l'hélice. Michel me passe une bouée-fer à cheval qu'il avait en trop. J'affale le génois, Loïc me passe de la toile à voile, j'ai des travaux de couture pour les jours à venir ! Et puis en fait, ce n'est qu'un petit accroc. Le moral revient.

Nous filons  à l'aéroport avec Michel : la douane est là-bas, nous prenons un taxi collectif, un taxi "aluguer", une camionnette avec 2 bancs sur le plateau à l'arrière. C'est pas cher et c'est aéré ! C'est une première pour moi, il faut obtenir la "clearance" pour Balum, le permis d'entrer dans les eaux du Cap Vert, il faudra passer dans chaque île de l'archipel voir la police maritime, et à la fin, il faudra obtenir la clearance de sortie. Le plaisir de la paperasse...

Les capverdiens sont gentils, accueillants, discrets. Une belle race ! Ils ont un petit côté brésilien, métissés d'Afrique et de Portugal, et le mélange est tout à fait intéressant. Les gamines de 12 ans roulent du popotin de façon très naturelle, sapées  comme des minettes, nombril à l'air, leurs grandes sœurs sont souvent très belles, beau corps, belle peau, et les garçons sont plutôt beaux mecs, donnant dans le look banlieue ou  rasta, c'est selon.
Le tourisme démarre doucement ici, et on n'est pas trop des bêtes curieuses, mais il va falloir sans doute quelques jours pour qu'on s'acclimate. Le Cap Vert, c'est un autre monde.

La vie s'organise au mouillage : bouffes sur Samos, sur Hobbit. La nuit tombe très vite sous les tropiques, à 7 heures il fait nuit noire, alors les retours à bord avec l'annexe se font dans l'obscurité.
Un soir, je viens avec Bibi sur mon bateau, Bibi attache l'amarre, et je lui sers un pastis. On papote, la nuit tombe, et tout à coup, nous voyons arriver une annexe, non, deux annexes, dont une en remorque... Mes voisins ont vu partir dans le noir quelque chose, et à la jumelle, pas de doute : c'était une annexe ! Ils ont sauté dans leur annexe et ont rattrapé la mienne qui se dirigeait tranquillement mais rapidement vers le Brésil...
Je commence à prendre mes marques, ici. Je me baigne, j'en profite pour mettre un coup de scotch-brite sous la coque, elle commence à être un peu sale.

Un soir Eric propose une sortie au village ; il retient dans un petit resto-bistrot. On se retrouve à 13 pour manger une délicieuse feijoada, le cassoulet local, servie par une "mama" adorable. On y retournera un autre soir, on a retenu pour 13, on arrive à 14 : mais trois se dit "três", treize se dit "treze", elle avait compris "três" et préparé pour 3 ! Du coup elle s'est débrouillée, on a eu des steaks de thon grillés pour compléter la feijoada, et ça a été impeccable.

 On part toute une journée pour une balade à 12 dans le taxi "aluguer" de Luis. On se fait le tour des curiosités de l'île. Notre chauffeur Luis nous emmène aux salines, un cratère de volcan dont le fond se remplit d'eau de mer, et l'endroit est exploité pour le sel ; exploitation très simple, pelles et brouettes, mais paysage un peu western, et nous nous croyons sur des champs de neige. Nous allons au Sud de l'île, à Santa Maria, magnifique plage et eau turquoise, c'est le coin des hôtels à touristes :  nous sortons nos pique-niques et nous déjeunons sous des palmiers. Nous avons demandé à Luis de nous emmener vois des "tartarugas", ces tortues de mer qui viennent pondre sur les plages ; très gentiment il obéit, et nous emmène chez un ami qui a  2 tortues de 10 cm de long dans une demi bouteille d'eau minérale. Christine, qui pensait voir des tortues de 1 mètre de diamètre, prend un fou rire, et n'ose plus sortir de la camionnette...  On va conclure cette virée par une baignade dans la baie de Mordeira, eau tiède et soleil.

Notre mouillage est venteux, parfois trop, et tout le monde craint de voir son ancre déraper ; un bateau essaie de se mettre entre la plage et Balum, son moteur est capricieux, il rate son mouillage, son ancre croche la chaîne de Balum, il remonte tout en même temps ! Heureusement Balum a une ancre de luxe, elle ne se décroche pas : ouf !

On va se balader de temps en temps en taxi aluguer à Espargos, le gros bourg de l'île, et là-bas il y a un cybercafé très fréquenté, et bien équipé. Il y a 2 ou 3 supermarchés, des boutiques, des bazars. Les maisons sont petites, rarement avec un ou deux étages, tout ça est assez propre, mais ça ne respire pas l'opulence. Ici, quand on achète des cigarettes, on les achète à l'unité. J'ai vu un gamin se faire servir 3 cuillères de lait en poudre dans un pot de yaourt vide, le tout pesé sur la balance de l'épicerie...

Trop de vent. Et ça démarre dans la nuit, une grande houle qui rentre dans le port, 1m50 de hauteur au moins, et ça déferle pas très loin des bateaux les plus exposés ; les gros bateaux sont chahutés comme des petits dériveurs, Chrysalide, Hobbit et Samos passent une nuit à peu près blanche. Balum est épargné car il est au fond du port, plus protégé ; ça va mettre 2 jours à se calmer. A l'est du port, on se demande si une déferlante ne va pas s'écrouler sur un bateau.
Et après, on se demande si les ancres vont tenir... Samos dérape, il vient remouiller son ancre près de Balum, Hobbit dérape alors qu'on était parti se balader vers une oasis de l'île, et Britta était seule à bord. Hobbit avait déjà 2 ancres, ce soir-là on en rajoute une 3ème ! La pièce de leur moteur n'est toujours pas arrivée, ça fait 2 semaines qu'ils l'attendent.
Ce soir le fils de Christine et Eric arrive en avion, ils partent faire le tour des îles, que fait-on ? Laisse-t-on Hobbit tout seul au mouillage ?

Avec Samos, on décide de rester encore un peu, histoire de tenir compagnie à Loïc et Britta. Temps un peu moche, trop de vent.
On tourne un peu en rond dans nos bateaux. Hier soir, On va tous sur Hobbit, j'apporte une grosse salade de riz et du Bordeaux "Château Mille Secousses", Samos apporte un gâteau au chocolat.
Je regarde des vidéos, "Sur la route de Madison", Certains l'aiment chaud"...
Aujourd'hui, mardi, la pièce va-t-elle arriver ? Britta est à l'aéroport, au service du fret, Loïc est dans son bateau en train de copier des films que je lui ai passés.
On fait la corvée d'eau, annexe pleine de jerrycans qu'on va remplir à la fontaine publique : tout le village vient se servir ici, avec des brouettes contenant 2 ou 3 bidons.
La pièce n'est toujours pas là. Carlos, Un allemand qui est installé au village depuis des années explique qu'il ne faut pas se montrer pressé, car c'est la meilleure méthode pour ralentir les opérations. Patience...

La pièce est arrivée. Britta va passer une journée à parlementer avec le service des colis à l'aéroport, la douane, elle va utiliser les services d'un commissaire aux douanes pour dédouaner son paquet... Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
En fin d'après-midi, Britta passe avec son annexe près de Balum : elle me montre le paquet ! Elle en a presque les larmes aux yeux. Ce soir, pour fêter ça, pizza party sur Hobbit, des pizzas "maison", si j'ose dire : Britta est une bonne cuisinière, et il ne lui viendrait même pas à l'idée d'en acheter des toutes prêtes  - mais de toutes façons c'est introuvable ici.

Samedi 15 novembre, 8 heures du mat', départ pour Boavista : je pars avec Clément, et Samos  nous suit.
Nous quittons le port, et attendons Samos qui nous rejoint après avoir hissé son spi  asymétrique : photos. Nous croisons peu de temps après Chrysalide qui revient d'une virée passant par Sao Nicolau et Boavista, ils vont retrouver Hobbit ; passage de relais, en quelque sorte.
Belle navigation, on arrive à l'île de Boavista vers 16h, et là déception : on est loin, très loin du village, de la plage, comme si on était mouillé en pleine mer, temps laiteux et venteux... La première impression est très mauvaise ! Il y a 5 ou 6 voiliers au mouillage, et un concarnois que j'ai déjà croisé aux Canaries me dit que là ça déferle quand il y a de la houle, là aussi, là aussi... Très rassurant... 2 jours plus tard, on apprendra qu'un voilier a cassé, oui, cassé, 2 ancres à cause de la houle et des déferlantes ici il y a quelques jours.
Ce soir repas sur Samos, Michel a pêché une belle bonite.

On se lève tôt le lendemain  matin, pour partir à 8 heures sur l'île. Je suis un peu à la bourre, et quand je suis prêt, c'est le démarreur du moteur de l'annexe de Michel qui lui joue des tours. On voulait partir tôt quand le vent n'est pas encore levé, et finalement, on sera trempé par les embruns, le vent et le clapot se sont levés !
A mi-parcours, mon moteur hors-bord ratatouille et s'arrête... Michel, qui heureusement n'est pas loin,  revient et me prend en remorque. Je regarde... Panne sèche ! Nul...
L'île de Boavista est une belle île, beaucoup plus séduisante que Sal. De la verdure, un joli village, des belles maisons. On se balade dans les rues ; c'est dimanche, on écoute les cantiques accompagnés de guitare électrique et de percussions dans une église.
On prend un taxi "aluguer" pour quelques heures, et on part faire un petit tour dans l'île. Nous arrivons dans une vraie oasis, des cocotiers, des palmiers dattiers, de la verdure, et un puits, le seul puits de l'île. Mais l'eau n'est pas bonne, comme souvent au Cap Vert, l'eau à boire vient des usines de désalinisation.  Voir de la verdure fait du bien aux yeux.
Notre chauffeur nous emmène voir un champ de dunes, un vrai désert au centre de l'île ! Du beau sable blanc, qui est, paraît-il, apporté par le vent depuis l'Afrique, le Sahara. Les enfants s'en donnent à cœur joie à dévaler les dunes et à faire des roulades dans le sable.
Le tourisme se développe doucement ici, et pour une raison que je ne connais pas, ce sont les italiens qui viennent en masse, et ils ont fait un bon choix : les plages sont magnifiques, sable blanc très fin et eau limpide. Et puis le vent permet de faire de la planche à voile et les vagues du surf.
Nous allons sur une plage avec notre taxi : heureusement c'est un 4x4, il s'y reprend à 3 fois pour passer des ornières de sable profondes : il passe de plus en plus vite, et ça finit par passer.
Repas sur le port dans un bistrot : côte de porc, riz et frites, le luxe !

Nous aurons passé environ 24 heures à Boavista, l'île est belle mais le mouillage ne nous semble pas assez sûr, nous avons décidé de partir dès ce soir pour l'île de Sao Nicolau, une île plus à l'ouest. Je remonte mon ancre, il y a 20 nœuds de vent, mais ça va. Samos a un guindeau électrique, mais il a un problème de fusible, et il finit par remonter son ancre à la main.
Il y a 90 milles nautiques à parcourir, on pense arriver en fin de matinée, mais il va y avoir du bon vent, Balum va être à 7 noeuds de moyenne pendant la moitié de nuit ; on se suit de très près avec Samos, je vois leur feu de mât dans l'obscurité. On ralentit au petit jour. Arrivée dans le port de Tarafal vers 8 heures, je pose mon ancre, café vau lait et je vais faire une grosse sieste, je n'ai pas assez dormi !

Sao Nicolau est une île très montagneuse ; on est sous le vent de l'île, mais des rafales descendent des vallées, et la baie est parfois agitée. Il y a là une dizaine de  voiliers, dont certains qu'on connaît déjà.
En nettoyant le bateau à l'arrivée, bonne pêche : 4 poissons volants et un petit calmar qui a atterri sur le roof !

Le village de Tarafal est un peu plus "cossu" que l'île de Sal, mais le niveau de vie des gens reste très modeste.
Nous allons à terre, et nous sommes littéralement pris d'assaut par des gamins, les "gardiens d'annexes" ! Pour 50 escudos, environ ½ Euro, ils nous gardent notre annexe toute la journée. Mon gardien s'appelle Juan. Cette mendicité déguisée m'agace, et puis on s'habitue...
Le lendemain, nous partons faire une randonnée à l'intérieur de l'île. On se fait poser en taxi dans un village en altitude, Cachaço, et nous descendons par un petit sentier en zigzag tout pavé vers la capitale de l'île, Ribera Brava, cachée au fond d'une vallée depuis l'époque des attaques des pirates et autres français.
3 heures de marche tranquille au milieu de la verdure, agaves, bananiers, orangers, et un paysage très escarpé et magnifique. Là-haut, il fait presque frais, et ça fait du bien. Nous croisons du monde sur ce sentier, des ânes surchargés, des dames avec des bassines en équilibre sur la tête, des écoliers qui reviennent de l'école dans leur uniforme vert ou bleu, et tous sont très aimables. On se dit "bom dia", on échange trois mots.
Pique-nique sur le bord du chemin, et nous arrivons à Ribera Brava. Petites courses, on achète du "groge", du rhum local, et nous rentrons en taxi à Tarafal. Les routes sont pavées à la mode portugaise, et très bien entretenues. Notre circuit nous fait passer assez haut dans l'île, et nous découvrons au bord de la route, dans notre taxi ouvert à tous les vents, qu'il y a des toiles d'araignées partout au dessus de la route, et plein de grosses araignées noires et jaunes... Cris de terreur et grandes rigolades dans le taxi.
Un jeune capverdien monte dans notre taxi collectif, peau très sombre, et yeux gris-vert : Bibi est sous le charme... Les capverdiens sont très métissés, et nous en croisons assez souvent qui ont les yeux bleus, verts, des yeux très clairs.
Michel est parti avec sa radio VHF portable.  Il essaie d'appeler Hobbit et Chrysalide, on les a entendus à la radio hier matin, mais eux ne nous entendaient pas. Britta nous répond, on l'entend comme si elle était à côté de nous ! Ils se sont arrêtés dans un petit port à l'est de l'île, Carraçal, et ils sont en route pour nous rejoindre à Tarafal. La radio VHF est un engin bien commode, et nous sommes connectés sur le même canal, en général le 72, où tout le monde écoute tout le monde !

 On retrouve au port Chrysalide et Hobbit, et ce soir c'est apéro à bord de Samos. Grandes discussions sur la pauvreté : Britta et Christine sont impressionnées, choquées par ce qu'elles ont vu à Carraçal : ce village est un peu oublié au bout de l'île, il n'y a qu'une piste qui y conduit, et c'est la misère. Les gamins dans la rue ont les jambes couvertes de plaies pas soignées, les vieilles femmes tendent la main dès qu'un touriste apparaît. Que viennent faire là des touristes avec leurs yachts de milliardaires ? Le Cap Vert est-il vraiment un lieu où on peut faire du tourisme ? D'un autre côté, on y  laisse un peu de notre argent, et on rapporte notre témoignage...

Dernière soirée ici : rencontre de l'équipage de Lou Virus, un bateau que j'ai déjà croisé aux Canaries, mais on s'était juste dit bonjour. Un couple avec leurs 3 filles, tous les deux sont enseignants, et ils ont pris un congé d'une année, peut-être deux pour élever leurs enfants. Finalement je pensais voir pas mal d'enseignants sur l'eau, mais non, ce n'est pas si courant.

Jeudi 20 novembre, tout le monde quitte Sao Nicolau. Balum et Samos partent vers Mindelo, sur l'île de Sao Vicente : le frère de Bibi y arrive en avion dans quelques jours. Hobbit et Chrysalide vont faire une halte de 2 jours sur Santa Luzia, une île déserte à mi-chemin.

Nous partons à 6 heures du mat' avec Samos, temps magnifique et bon vent, 20-25 noeuds. La visibilité est formidable, on voit les îles à 40 ou 50 milles. Ce sont des îles hautes, mais quand même : il y a quelques jours, j'ai vu apparaître la côte de Boavista à 2 milles devant l'étrave, le soleil brillait, mais il y avait cette brume qu'apporte l'Harmattan, le vent du désert. Michel va voir un beau requin de 3 mètres passer à côté de Samos. Pas de poissons volants, mais je vais croiser des pêcheurs sur une petite barque en bois en pleine mer, dansant sur les vagues. Je vais les revoir une heure plus tard, ils ont hissé une voile qui a l'air faite de bouts de chiffons raccommodés, et ils filent ! Grands bonjours.

L'arrivée à Mindelo va être musclée : 30 noeuds de vent, force 7 ! Et tout ça dans le port : pas de houle, il est très abrité, mais les rafales descendent de la montagne. Et il va falloir que je mouille l'ancre seul... Premier essai raté, évidemment, il faut que je remonte l'ancre. Le deuxième essai va être le bon, mais le reste de l'après-midi, je vais rester à surveiller le GPS : dérape-t-y, dérape-t-y pas ? Finalement, je ne bouge plus... Nuit calme, tout va bien.

Beaucoup de bateaux français, ici, et un bon nombre qu'on a déjà croisés. Je vais saluer le catamaran Ilot, vu à Sal, et il nous explique le cirque des gardiens d'annexes ici. Ce ne sont plus des gamins, ce sont des adultes qui organisent ce trafic, qui est à la tête du client : un bateau paie 12 euros par jour pour qu'on lui garde son annexe sur la plage, un autre paie 8 euros pour 15 jours... Et comme partout, dans les guides, on dit que Mindelo n'est pas sûr, qu'il ne faut pas laisser son bateau seul la nuit, du coup on n'ose pas trop discuter ! Mais ce sont sans doute les mêmes qui gardent les annexes et qui les volent ! La police maritime m'a fait lire soigneusement un papier qui précise qu'il faut faire surveiller son bateau ; " toutes les conséquences et tous les risques pouvant résulter de l'inobservation de cette mesure incomberaient aux plaisanciers".
Mais que fait la police ?
Il y a un "clube nautico" tenu par un français qui nous console un peu : le gérant se charge de faire laver le linge, il y a même la possibilité de prendre une douche (quand il y a de l'eau, aujourd'hui il n'y en pas). Il y a également une Alliance Française. Et puis comme partout au Cap Vert, les gens sont souriants, gentils. Il y a un marché très achalandé, très coloré, bref le séjour ici s'annonce agréable. Mindelo est une assez grande ville, la 2ème du Cap Vert, 47 000 habitants, elle est encerclée de montagnes sur lesquelles les couchers de soleil sont très beaux.
Le frère de Bibi arrive lundi, il m'apporte dans ses bagages l'hélice de rechange pour mon hydrogénérateur. D'ici là, nous allons faire les dernières courses de légumes, fruits, laitages, ranger le bateau.
Nous pensons partir mercredi 26 ou jeudi 27 novembre. Chrysalide part sans doute lundi. Hobbit pas très longtemps après. Persévérance, qui était resté traîner aux Canaries, est parti vers la Barbade le 21 : bon vent à tous ! On se retrouvera là-bas assez nombreux pour Noël.

Ca y est, Merlin est parti dimanche, Chrysalide est parti lundi, départ émouvant ; Olivier, le frère de Bibi, est arrivé lundi soir et ses 40 ou 50 kilos de bagages sont arrivés 24 heures plus tard ; il apporte entre autres choses essentielles les cours du CNED des enfants de Samos et mon hélice. Il est bronzé comme un parisien en novembre, plus ou moins débutant en voile, mais confiant.

Comme d'hab', apéros sur les bateaux pour fêter le départ prochain ; tout à l'heure, je vais sur "Marines", le grand ketch croisé à Madère et revu à Lanzarote, sur lequel naviguait le père d'Armelle. On a encore un problème : l'usine de dessalinisation est en panne, Mindelo n'a pas d'eau : on attend. Un gardien d'annexe, Manuel, va nous en trouver, il nous apporte 200 litres, de quoi compléter les réservoirs de Samos et Balum. Chez un "barbeiro", je me suis fait tailler les cheveux, la barbe et les "bigodes" - les moustaches ! Je suis prêt.

Derniers jours du côté africain de la Grande Mare, avant de tenter d'atteindre le bord occidental du monde. C'est un vieux rêve démarré sur un Mélody au large de Concarneau, durant l'été 1979. On était 9 sur ce voilier, et Michel, qu'on appelait Quill à l'époque, était notre skipper. Je ne savais même pas qu'on n'avait pas le droit de dire "ficelle" sur un bateau, mais qu'il fallait dire drisse, amarre, aussière, au pire bout'... Pendant cette croisière, j'avais passé mon temps dans le carré à lire le Cours de Navigation des Glénans, et ça avait été comme une révélation.

Conclusion provisoire ? Eh bien, j'espère que je pourrai encore dire, une fois arrivé à la Barbade, que... C'est pas mal une année sabbatique !

à Mindelo, à bord de Balum, le 26 novembre 2003

Musique :  Sinéad O'Connor / Sean-Nos Nua
 

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Sixième bouteille à la mer : Cap à l'ouest vers le Nouveau Monde

Un dernier pot à bord de Hobbit, avec les équipages de Samos et Lou Virus,  dernières courses pour dépenser mes escudos capverdiens, du beurre en boîte de conserve - très bon - des tomates, des pommes. Je paie mon dû à mon gardien d'annexe, Kobi, un ghanéen qui doit avoir dans les 18 ans. Encore un qui est arrivé au Cap Vert pour fuir son pays, mais le Cap Vert n'est pas beaucoup mieux : pas de travail. C'est le 4ème ou 5ème qui me demande de faire la traversée vers les Antilles sur Balum. Je leur réponds que mon bateau est trop petit, ce qui les laisse perplexes : ils partiraient bien à 15 sur un tel bateau. Non, je me vois mal traverser avec des inconnus, 3 semaines de cohabitation sur un aussi petit espace, ça demande de bien se connaître ; et puis je me vois mal arriver avec un sans-papiers sur ces îles où les douaniers ont la réputation d'être tatillons - et ne parlons pas des Coast Guards américains qui patrouillent dans les Caraïbes... Je souhaite "good luck" à Kobi, c'est un gentil garçon.

Je quitte le Cap Vert avec l'impression d'être passé ici trop vite : comme beaucoup de navigateurs, j'avais plein d'a priori avant d'arriver ici ; les guides de navigation expliquent gravement qu'il n'y a pas d'eau, que c'est très difficile de faire ses courses, que les gardiens d'annexes sont  une vraie plaie... Et puis quelques semaines plus tard, je me rends compte qu'on trouve de l'eau, il suffit d'avoir des bidons et une annexe, qu'on peut faire des courses si on n'est pas absolument attaché à ses marques de conserves... Et puis les gardiens d'annexe, c'est encore de ces petits métiers comme savent en inventer les pays pauvres, il faut apprendre à faire avec.
Et on finirait presque par oublier que ces îles sont belles, attachantes, variées, et surtout que les capverdiens sont gentils, souriants, accueillants. Ici, la vie est paisible, pas de stress, pas d'agitation, on prend son temps, et puis la musique est belle ! Je reviendrai...

 

Nous partons ensemble avec Samos, en faisant le tour du mouillage : nous saluons Hobbit, C'est la vie, Funambule, Lou Virus. Adieux toujours émouvants, cornes de brume, et puis cette fois-ci je pars pour 15 à 20 jours de mer : le grand saut.
28 novembre, 13h30, nous hissons les voiles. 20 noeuds de vent portant dans le chenal entre l'île de Mindelo et celle de Santo Antao, beau temps : je pars pour une transat !

2ème jour : au petit matin, je vois encore Samos devant moi, on se parle à la VHF. Mer agitée, mais bon vent. 103 milles à 13H30. La bordure du génois se découd : séance couture sans pouvoir affaler la voile, un peu acrobatique...
A 11 heures dernier contact VHF avec Michel, après on sera trop éloigné.

3ème jour : belle nuit, mais le génois continue à se découdre. Pendant 3 jours je vais avoir mes 2 ou 3 heures quotidiennes de couture, avec l'aiguille triangulaire et la paumelle.
Rituel du matin : trouver les poissons volants qui ont atterri par erreur sur le pont pendant la nuit. Ce matin, 3 égarés.
130 milles en 24 heures. Pas mal !

4ème jour :  le vent est de secteur est, mais il tourne en fait du sud-est au nord-est, ce qui m'oblige à des manoeuvres assez fréquentes, puisque je fais cap à l'ouest : il faut empanner !
120 milles en 24 heures.

5ème jour : nuit un peu trop noire à mon goût, mais on va vers la pleine lune. Le vent est un peu monté, au matin, il y a des pointes de vent à 25 noeuds, et Balum fait des pointes à 10 noeuds.
130 milles en 24 heures. à 17h30, on a passé les 500 milles, le quart de la route ! Je fais un petit calcul, si je continue à cette allure je mets 16 ou 17 jours  pour traverser.

6ème jour : mer un peu inconfortable cette nuit, un peu cahoteuse. J'ai arrêté depuis le 2ème jour de mettre le réveil la nuit ; je dors, et puis 4 ou 5 fois dans la nuit, je vais faire un tour sur le pont. Si le vent tourne ou forcit, je me réveille, et je vais régler les voiles si nécessaire. Parfois je serai réveillé par des empannages intempestifs heureusement modérés par le frein de bôme.
10 poissons volants ce matin ! Et un cargo à l'horizon, le premier de la traversée, il a l'air de se diriger vers l'Amérique du Sud.
109 milles en 24 heures. Je fais ma route sur l'ordinateur, et chaque jour je reporte le point sur la carte papier de l'Atlantique : on avance !

7ème jour : les journées deviennent parfaites ! Vent de 15 noeuds, pas de houle, beau temps, le bonheur !
Depuis plusieurs jours, je navigue avec le génois tangonné : sur un bord la grand voile est débordée à fond et maintenue par le frein de bôme, sur l'autre bord le génois est maintenu grand ouvert par le tangon. Avec ses voiles en papillon, le bateau est stable, marche bien, et c'en est fini des voiles qui claquent et qui se déventent. C'est une découverte pour moi ; j'avais déjà tangonné le génois, mais jamais assez longtemps pour en comprendre les possibilités, et c'est génial !
102 milles en 24 heures.

8ème jour : la pétole ! depuis hier après-midi, le vent a faibli, mais il est toujours dans la bonne direction, j'avance à 2 noeuds, 3 noeuds.
86 milles en 24 heures.
J'ai un peu de sinusite, et je me suis trouvé un très bon remède, 2 cuillères d'élixir de la Grande Chartreuse !
Je lis. Aujourd'hui, j'ai fait du pain. Comme le bateau ne va plus assez vite pour faire tourner l'hydro-générateur, je fais une heure de moteur pour recharger les batteries.

9ème jour : cette nuit, première averse tropicale, je suis réveillé par les gouttes de pluies qui me mouillent les pieds par un hublot resté ouvert. Manoeuvre sous la pluie en pleine nuit, le vent a tourné, mais la pluie est tiède.
Un voilier à l'horizon. 90 milles en 24 heures.

10ème jour : un grain cette nuit ; je me lève je réduis la toile, puis très vite le vent tombe complètement ! Le vent va rester pas très fort, et tournicotant.
91 milles en 24 heures. Il y a des petites averses que je vois arriver : des gros nuages avec une grosse colonne sombre en dessous, la pluie. A chaque fois, j'espère ardemment que je vais l'éviter, je crains la violence des grains.  

11ème jour : vers minuit, on a dépassé les 1000 milles, la moitié du trajet !
Vers 6 heures du mat', un grain avec 25 noeuds de vent. 2ème cargo de la traversée, qui part vers l'Afrique.
A 11h40 en temps universel, il y a le rituel de la météo marine sur Radio France Internationale, et aujourd'hui Arielle Cassim annonce : "le bulletin météo est long aujourd'hui, alors je vais essayer d'aller vite pour avoir le temps de parler du salon nautique de Paris..." Tous les marins en mer ont dû la maudire ce jour-là ! La réception n'est pas toujours très bonne, ça crachote, et j'ai beau enregistrer avec un dictaphone le bulletin, parfois c'est un peu de la devinette, alors si en plus elle va vite...
Je m'offre du fois gras pour fêter la moitié du parcours ! Merci Agnès !
J'ai commencé le cédérom pour les "didieristes" sur l'ordinateur, une tâche très prenante, très motivante aussi.
Ces jours-ci je guette l'évolution d'une dépression tropicale dénommée Odette.
100 milles en 24 heures.
Les nuits sont magnifiques, pleine lune. Les phosphorescences dans l'eau deviennent des explosions de lumière verte, comme des flashes qui durent une seconde et s'éteignent.

12ème jour : le vent est toujours tranquille. Ce matin j'ai vu mon premier paille-en-queue !
96 milles en 24 heures. Cet après-midi, pétole, et en plus je fais du près serré ! Le vent a tourné au sud-ouest. C'est ma première transat, mais j'ai quand même l'impression que l'alizé n'est pas ce qu'il devrait être : je suis tout le temps en train de changer les réglages de voiles, j'empanne le tangon de génois, j'empanne la grand voile, pas très stable tout ça.

13ème jour : je change d'heure, je passe en TU - 2, ça va mieux correspondre à l'heure solaire (en fait il faut que j'enlève une heure tous les 15 degrés de longitude).
A la météo, on annonce sur Alizés-Ouest, la zone où est Balum, un coup de vent 6 à 8, mais je suis au sud de la zone, et j'ai un vent évanescent...
41 milles en 24 heures : record ! Je fais 4 heures de moteur pour essayer de revenir dans des zones plus venteuses.

14ème jour : la pétole, toujours la pétole... Mais je ne me plains pas, la vie est douce à bord du bateau, je lis, je bricole sur mon ordinateur, je regarde la mer, je guette les dauphins et les globicéphales, qui sont très intrigués par mon hydro-générateur.
Un cargo passe à 500 mètres devant l'étrave ; personne sur le pont, impression nette que personne n'a vu mon petit bateau.
35 milles en 24 heures, nouveau record ! J'avance à 2 noeuds, 3 noeuds, je mets le tangon, j'enlève le tangon...

15ème jour : nuit tranquille, vent entre 6 et 9 neuds, Balum avance à 3 noeuds.
66 milles en 24 heures, il y a du mieux...

16ème jour : nuit fatigante : le vent n'est pas très fort, mais il est pile sur l'arrière, et comme il y a un peu de vagues, le bateau roule, et il y a eu plusieurs empannages intempestifs : réveils un peu brutaux, manoeuvres, sommeil en pointillés...
Un voilier à l'horizon.
Je change de zone météo : Est-Antilles, j'approche ! Et le bateau marche bien, 104 milles en 24 heures, enfin !

17ème jour : à nouveau une nuit agitée à partir de 4 heures du matin. Mais le bateau marche bien. Ce matin à 8h30, nous avons fait 1500 milles depuis Mindelo. 116 milles en 24 heures.
Un grand catamaran me double, qui doit filer vers le nord des Petites Antilles.

18ème jour : nuit impeccable ! Le bateau marche fort, des pointes à 7 noeuds, le vent est stable. 118 milles en 24 heures.

19ème jour : cette nuit, ça a soufflé à plus de 25 noeuds, puis ça s'est calmé, mais il y a eu quelques petites averses en fin de nuit.
Maintenant que la lune commence à décroître, elle se lève de plus en plus tard la nuit, 2 heures, 3 heures du mat'... La nuit est sombre.
Je passe en heure TU - 3.
133 milles en 24 heures : ça sent l'arrivée ! Le vent souffle, mais la mer a gonflé ; avant la nuit j'ai pris le 2ème ris dans la grand voile, mais le bateau ne ralentit pas, 6, 7, 8 noeuds...

20ème jour : la nuit a été robuste !  Il y a eu des pointes de vent à 30 noeuds, et les vagues sont assez désordonnées, j'ai fini par descendre entièrement la grand voile, en laissant le génois tangonné, un peu roulé. Je n'ai pas beaucoup dormi.
J' ai changé de zone météo : sud-Antilles, j'y suis presque.
Un cargo fait la transat en sens inverse.
Grosse averse en fin d'après midi : le bateau est tout propre, tout dessalé. Après toutes ces semaines au Cap Vert, Balum était couvert de poussière volcanique, il est à nouveau  briqué et lessivé, voiles bien blanches.
129 milles en 24 heures, et je n'ai toujours pas remis la grand voile !

21ème jour : Je vais arriver trop vite, je ne veux pas arriver à la Barbade en pleine nuit. Je roule encore un peu le génois pour ralentir.
Depuis minuit, je vois les lueurs de l'île dans le ciel.
Nuit tranquille, quoique rouleuse. J'ai fini par redérouler un peu le génois, j'avais trop ralenti. Un grand paquebot de croisière arrive en même temps que Balum à la Barbade, tout illuminé ; je suis au sud de l'île vers 7 heures du matin.
Un arc-en-ciel m'accueille dans le Nouveau Monde ! C'est sûrement un signe... Je passe en TU - 4. J'essaie d'appeler à la VHF Samos, Persévérance. Pas de réponse. Je m'approche de Carlisle Bay au moteur ; vers 10 heures, j'arrive, je m'approche de la plage, 4 mètres d'eau, l'ancre tombe, premier essai raté, le 2ème sera le bon.
Je suis à 50 mètres d'une plage de sable blanc, cocotiers, l'eau est d'une transparence incroyable, bleu piscine...
J'ai traversé l'Atlantique ! J'essaie de réaliser, je ne suis pas vraiment ému, je suis trop fatigué !

Persévérance est mouillé tout près. Antoine me rejoint en annexe, et il m'apprend qu'il faut aller faire les formalités d'arrivée, la "clearance", au port de commerce avec le voilier ! Il m'aide à la manoeuvre, on remonte l'ancre, et on y va.
Dans le port, tous les quais sont occupés par les énormes paquebots de croisière qui écument les Caraïbes, ils sont 5 ou 6. On réussit à se caser dans un petit coin. paperasses : la police, la douane, les affaires sanitaires, je jure que je n'ai pas d'armes, pas de maladies, etc. Comme d'habitude, on est à la limite du ridicule, mais je me plie à ces traditions qui semblent essentielles. Je suis hagard, je n'ai pas assez dormi...
Retour au mouillage, Brigitte nous rejoint, et
nous buvons le Champagne ! Je suis très fier, même si, au fond, ce n'est pas si compliqué de faire cette navigation. J'ai quand même traversé un océan...
J'ai mis un peu moins de 20 jours, environ 100 milles par jour. Samos n'est pas là, finalement ils sont allés directement en Martinique, pour cause d'horaires d'avion, ils ont eu peur des calmes. J'apprends que Chrysalide a mis 14 jours 8 heures pour rallier la Guadeloupe. Persévérance a mis 23 jours en venant directement des Canaries.

Il y a aussi au mouillage Merlin et Pen Kalett, et les jours qui viennent vont être très agréables.
Nous sommes à Bridgetown, la capitale de la Barbade, et Carlisle Bay est devant le quartier d'origine de la ville qui s'appelle "Careenage" : un petit bras de mer entre dans la ville, ça a dû être le premier abri pour les bateaux des premiers occupants. Petite ville charmante, animée, touristique, mais pas trop.
Au mouillage, nous accostons avec les annexes à un ponton qui aboutit à une boîte de nuit, le "Boatyard" ! Le personnel est très accueillant, les services sont gratuits, eau douce, douches, et puis on peut faire laver son linge : que demander de plus ? En contrepartie, on a la musique jusque tard dans la nuit... On va souvent profiter des "services" du bar, bières fraîches, piñas coladas, et puis la plage est absolument magnifique, sable blanc et fin, eau turquoise.

Les barbadiens sont adorables : ici, il y a un vieux fonds de culture coloniale anglaise, les dames ont des chapeaux de paille avec des fleurs artificielles, des robes en cotonnades fleuries, mais il y a aussi la culture jamaïcaine qui est très présente, les "dreadlocks" des rastas, et puis la musique, le reggae ! Tout ça fait un mélange extrêmement sympathique, et nous sommes très vite séduits par l'accueil et la prévenance des gens. Il suffit qu'on ait l'air de chercher quelque chose pour que quelqu'un nous aborde et nous propose son aide.  C'est un vrai plaisir de traîner en ville, tout le monde est souriant. Le niveau de vie est relativement élevé ici, pas de misère, même si l'île est assez surpeuplée : les maisons de bois sont minuscules, mais bien entretenues. Décorations de Noël partout, et puis des fleurs, des bananiers, des arbres à pain (oui, ceux qui ont été rapportés par le Captain Bligh, celui de la Bounty !).
Dans le bus, nos voisins commencent spontanément la conversation, et nous apprenons plein de choses. Au supermarché, une dame nous prend en charge dans la cohue pour qu'on ne nous prenne pas notre place dans la queue à la caisse !
Nous nous baladons en bus, et les chauffeurs sont parfois déchaînés : Ils roulent vite, et la musique fait trembler les vitres ! Une main sur l'autoradio, l'autre main en train de saluer les bus qui passent en face, et en plus ils mangent une glace à l'eau...

Avec Brigitte et Antoine, nous allons visiter une grotte au centre de l'île, pleine de stalactites et stalagmites : l'île est un plateau corallien qui s'est soulevé, c'est la seule île des Antilles qui n'est pas volcanique. Après, nous allons manger au bord de l'eau, à Bathsheba, le grand centre de pêche au poisson volant ! Les poissons volants, ça se pêche comme les papillons, avec un filet à papillons ! Tous les soirs, un petit bateau passe au milieu du mouillage, lampes allumées, et le patron attrape au vol les exocets. Très bon, grillé...
Avec les équipages de Merlin, Pen Kalett et Persévérance, nouis allons visiter une distillerie de rhum, la plus ancienne de l'île, nous passons une matinée dans les effluves de mélasse et d'alcool.

Petites bouffes chez l'un, chez l'autre, la vie au mouillage est toujours très conviviale. On copine beaucoup avec Merlin : Christophe, Isabelle, et leurs fils Xavier et Stéphane, et avec Penn Kalet : Pierre, Marie-Noëlle, et leurs 2 fils Léo et Tom ; ils viennent de la presqu'île de Rhuys. Les discussions entre marins voyageurs sont souvent très enthousiastes. On a envie de dire et de redire qu'on est heureux d'être là, c'est une coupure dans une vie, enfin on a le temps de profiter les uns des autres. Pour les enfants, l'école et les copains manquent parfois, mais par contre ils ont leurs parents à plein temps. Et moi, de mon côté, j'ai l'impression d'avoir enfin décompressé, j'arrive à ne rien faire, je me sens par moments complètement tranquille, serein, décontracté, je regarde le coucher de soleil et je souris béatement comme si ça ne m'était pas arrivé depuis des années. Zen...

Je vais découvrir une spécialité tropicale sous mon bateau : les anatifes ! La coque de Balum était à peu près propre en partant du Cap Vert, 3 semaines plus tard, elle est couverte d'anatifes, ces petits mollusques qui ressemblent à des pouce-pied,  des "percebes" en portugais, des petits pédoncules de 2 ou 3 centimètres de longueur terminés par une espèce de bec corné. On imagine que ça ne doit pas être très hydrodynamique, tout ça... Je plonge, je gratte...

A 300 mètres de nos voiliers, il y a une attraction formidable, 2 cargos coulés près de la plage dans une dizaine de mètres d'eau. Ils ont été mis là exprès pour le plaisir de la plongée, et c'est très réussi. Il y a des milliers de poissons multicolores, des langoustes dans des recoins inaccessibles, et nous. On y va avec des bouts de pain ou des biscottes, et les poissons viennent nous mordre les doigts quand la tranche est finie !

Noël arrive : j'ai beaucoup de peine à le réaliser, cette époque est tellement associée pour nous au froid, aux gros pulls... Nous décidons de passer la nuit de Noël sur la plage : nous récupérons un ½ tonneau, une grille, les enfants récupèrent plein de bois sur la plage, des palettes pour faire des tables, et nous nous retrouvons à 25 ou 30, avec 4 autres bateaux français,  pour une veillée de Noël très tropicale. Poulets et saucisses grillés, salades en tous genres, et pendant ce temps, les enfants font des parties déchaînées de ballon prisonnier dans le noir, et des concours de châteaux de sable.

Demain ou après-demain, je pars vers la Martinique avec Persévérance. Nous avons des envies de marina ! Et puis il va falloir prendre rendez-vous pour refaire le carénage de Balum, et réviser le moteur, le démarreur me joue parfois des tours. On se dit avec Antoine et Brigitte qu'on ira passer le réveillon de Nouvel An à Fort-de-France.


Il fait beau, l'eau est à 27-28°, que demander de plus ? Que vais-je faire dans les mois qui viennent, je n'en sais rien. La navigation aux Antilles est facile, les Alizés sont traversiers, alors on peut aller facilement du nord au sud et du sud au nord. Les Grenadines, Antigua, Barbuda, St Kitts et Nevis, les Saintes ou Marie-Galante... Le problème ça va être de choisir.

J'étais parti pour traverser l'Atlantique, ça y est c'est fait ! Mais je me dis que le programme de la suite s'annonce bien. Chaleur, cocotiers, eau tiède et fonds de corail, ça pourrait être pire. Vous savez quoi ? C'est pas mal une année sabbatique !

à la Barbade, à bord de Balum
le 26 décembre 2003

Musique Neil Young - Harvest

 

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