BALUM vers le Banc d'Argent

Baleines, etc - le sommaire

Les aventures de Balum - le sommaire

les photos de la troisième bouteille à la mer

chapitre suivant

Troisième bouteille à la mer - août-septembre 2003

 De l'île aux fleurs à Graciosa

Musique : Mike Oldfield - The complete

Madère est une île verdoyante, très humide, parcourue de vraies rivières, irriguée par les fameuses levadas, ces rigoles qui sillonnent toute l'île ; des fleurs partout, des camélias, des bougainvillées, des jacarandas. Il fait chaud. Le ciel est souvent nuageux : l'arrière-pays est tellement escarpé qu'il crée ses propres nuages. Avant- goût des Tropiques. La ville est belle, je m'y balade à pied (beaucoup) et à vélo (un peu ) : ça grimpe ! Le marché couvert est un vrai bonheur pour les yeux : des étals de poissons, de vanneries et les fleurs, oiseaux de paradis et autres plantes exotiques.

Le port de plaisance est en plein centre ville, mais le bruit des voitures se fait discret. Des concerts vont avoir lieu sur la digue, heureusement pas trop tardifs, car nous aurons droit entre autres à des concours de chanteurs amateurs aux talents modestes… Le service de bus fonctionne très bien ici, c'est un bon point pour un pauvre marin piéton. Mais attention, pour atteindre certains points de l'île, il faut quatre heures depuis Funchal ! Et ça tourne, et ça monte, et ça frôle des ravins vertigineux... Alors j'explore l'île en autobus, mais aussi à pied, et même dans un monospace loué par Loïc et Britta. L'intérieur est très varié, forêts, bananeraies, falaises. Nous découvrons un haut plateau à plus de mille trois cents mètres, il y fait presque froid, j'en oublie que nous sommes à la latitude de l'Afrique. La côte Nord est plus rocheuse, moins habitée, plus campagnarde, très délassante après l'agitation de Funchal.

Avec Antoine et Brigitte, nous entreprenons une grande randonnée le long d'une levada ; ce canal d'à peine un mètre de largeur permet d'amener l'eau très loin de son point de captage en suivant le flanc de la montagne. Il court presque à l'horizontale et un sentier bien nettoyé le longe pour permettre son entretien. Par endroits, il a même fallu percer la falaise et nous avons l'impression que ces travaux datent de temps très anciens. Le panorama, les oiseaux, la fraîcheur de l'altitude, l'ombre des arbres, vraiment cet itinéraire est parfait pour traverser le cœur de l'île. Hélas, à la fin de la journée, un genou douloureux me fait boiter. Du vélo, de la marche, je n'ai pas fait autant de sport depuis bien longtemps et je manque d'entraînement. Conséquence plutôt plaisante : je vais me faire masser la jambe par Michel ; sa femme Bibi et lui sont kinésithérapeutes.

Quelques jours plus tard, mon genou va mieux ; je vais marcher vers la baie d'Abra, à l'est de l'île, une baie sauvage et belle, très abritée, où quelques voiliers viennent s'offrir une cure de solitude. Je donne dans le culturel : vieille ville de Funchal, visite du musée Federico Freitas et du musée de la baleine à Caniçal, églises baroques pleines de dorures et d'enluminures.

Le port devient une petite société très prenante. Samos, Hobbit, Persévérance, Magael, Saudade, Milou, Chrysalide et d'autres encore : beaucoup de monde à voir. Le refrain de tous, c'est : "Je suis débordé !" On a des tas de bricolages en train sur les bateaux, entretien, modifications, améliorations et puis la vie mondaine du ponton nous prend du temps ! Rencontres inopinées, invitations improvisées, causettes en passant qui durent des heures... Un barbecue sur le quai va se terminer à l'aube.

Quand je pense qu'avant de partir je me demandais si je supporterais la solitude ! Ce qui n'était pas prévu non plus, c'était que j'allais devenir le plombier des ordinateurs. Ma réputation a démarré à Porto-Santo, Radio-Ponton a fait le reste ! La plupart des bateaux partent avec un équipement plus ou moins lourd : un ordinateur (deux, voire trois !), un appareil photo numérique, parfois une imprimante, des collections de DVD, certains ont même le téléphone satellite pour recevoir leurs courriels au large. Beaucoup ont les cartes marines électroniques sur le disque dur, le GPS fournissant la position du bateau. On m'appelle à la rescousse pour nettoyer les vieux fichiers, pour compresser des photos, pour les sites web, etc. Jacques de Saudade, que je ne connais pas encore, vient frapper au hublot : "Salut, Balum. On m'a parlé de toi, on m'a dit que tu pourrais m'aider, j'ai des problèmes avec la connexion de mon GPS sur l'ordinateur..." Rendez-vous est pris pour le lendemain matin, 10 heures. A l'heure dite, je monte à son bord. Il n'en revient pas ! Quelques mois plus tard, il me reparlera encore de cet épisode, étonné par ma disponibilité. De mon côté, quoi de plus normal ? On me demande poliment un service, c'est l'occasion d'une nouvelle rencontre. Je reverrai souvent Jacques aux Antilles, puis aux Bermudes, aux Açores, avec ses enfants, ses amis et ce seront toujours des moments chaleureux. On accuse l'informatique d'être un médium froid qui stérilise et mécanise les contacts. Ah bon ?

Même si je suis bien ici, il faut bouger. Peu à peu, tout le monde part, la descente commence vers les Canaries, le Cap Vert. Appareillage prévu le 2 septembre, puis repoussé au 6, car Antoine me propose de naviguer en escadre jusqu'aux Canaries ; cette proposition me plaît bien, j'accepte aussitôt. Chassés par une grosse régate qui a réservé tous les pontons, nous quittons le port le 4 septembre. Avec Persévérance, nous tentons de rallier Caniçal, l'autre port de Madère : retour deux heures après. Le vent est monté à 35-40 nœuds, c'est vraiment trop pour prendre du plaisir à naviguer. Nous décidons de patienter en nous mettant sur ancre dans l'avant-port ; de toutes façons, nous devons accompagner Brigitte à l'aéroport, elle rentre en France pour une quinzaine de jours. Avec Antoine, départ prévu le soir, 19 heures. Cette fois-ci, c'est la bonne. Annulation ! Météo catastrophique sur Madère. Le lendemain dimanche, impossible d'obtenir une place au port, nous partons... Non, météo exécrable aux Canaries ! Nous attendons comme ça plusieurs jours, puis finissons par retourner dans la marina pour être plus au calme, car le mouillage est trop inconfortable, trop rouleur. Nous n'avons pas l'autorisation, mais nous nous installons quand même à couple d'autres bateaux à quai, l'air de rien, en fin de journée. Par chance, ce n'est plus le même "marinero" qui contrôle les arrivées, il ferme les yeux et je le remercie chaleureusement.

Je continue à fréquenter le cyber-café pour aller consulter ma messagerie. Le vendredi 5 septembre, je reçois un courrier de mon frère Joël qui m'apprend que notre Tante Vivette nous a quittés le mercredi précédent. L'enterrement a lieu le lendemain. Je n'y serai présent que par la pensée et là, tout à coup, l'éloignement est difficile.

Le 10 septembre, 10 heures du matin, Balum et Persévérance larguent les amarres, soleil et brise musclée, force 5-6. Nous allons faire cent quarante milles de moyenne quotidienne, deux jours et deux nuits de navigation ; peu à peu le vent se calme, nous terminerons avec du force 3.

J'arrive vers midi à Graciosa, la première île des Canaries, au nord de Lanzarote, volcans, sable blanc et eau transparente. Du large je ne vois que des cailloux brûlés par le soleil ; je finis par apercevoir un petit village très méditerranéen protégé par une digue. Toits en terrasse, façades blanchies à la chaux, des gamins qui se baignent. Je suis accueilli par la bande, ils sont tous là, Persévérance, Hobbit, Magael, Chrysalide, Samos...

Un mot pour définir Graciosa : la paix. Silence, soleil, dunes de sable, pas d'agitation. Je suis ici depuis huit jours, je ne m'en lasse pas. Le port est modeste, nous sommes tous sur le même ponton et la blague, c'est qu'on a beaucoup de peine à atteindre le quai : on se fait accrocher au moins cinq fois en route et systématiquement c'est une demi-heure de papotages ; ensuite, on retourne sur son bateau pour faire la sieste et on remet ses projets au lendemain... Quand même, j'ai réussi parfois à m'éloigner pour des promenades dans le village, dans l'île. Deux épiceries, quelques restaurants, aucune route goudronnée, des arbustes rabougris, trois volcans. Pas de tumulte, quelques voitures qui savent rester discrètes. Les portes des maisons sont encadrées de chaises paillées pour profiter de la douceur des crépuscules. Je décompresse. J'ai sorti palmes, masque et tuba et je course des bancs de daurades ; l'eau est à 23-24°.

C'est l'anniversaire de Christine. Eric, son skipper et mari, prétexte une petite randonnée pour l'emmener vers un volcan, il nous laisse ainsi le champ libre pour organiser la fête. Chacun lui prépare des cadeaux, des dessins, nous lui composons une chanson, très belle bien sûr, admirablement chantée par tout le monde ! Chrysalide est un yacht accueillant, nous préférons pourtant nous installer sur la jetée, au cas où le barbecue cracherait des escarbilles. Toasts au foie gras sur du pain pétri par Britta, poisson grillé, et puis des vins sortis des cales : Loupiac, Sainte-Croix-du-Mont, des Bordeaux... La nuit tombe, l'ambiance est joyeuse : Michel met en pratique ses talents d'ostéopathe, il nous fait craquer les articulations, ce qui va donner lieu à un vrai numéro burlesque avec Michel dans le rôle du clown blanc et Eric dans celui de l'Auguste. Graciosa est un petit îlot caillouteux, peuplé de quelques centaines d'habitants, et ce soir-là nous oublions le reste du monde.

Après-demain je pars, c'est décidé : en route vers Lanzarote, ce sera une navigation d'une journée et je pourrai me poser dans une marina confortable. A Graciosa, la vie est belle, mais il n'y a que très peu d'eau douce, j'ai vécu sur mes réserves ; le bateau commence à être sale, il mérite un coup de jet. C'est donc ça le voyage : trouver des endroits merveilleux et s'obliger à les quitter.

À Graciosa, à bord de Balum,
samedi 20 septembre 2003.

 

Retour en haut de la page                                       Chapitre suivant