BALUM vers le Banc d'Argent |
Quatrième bouteille à la mer - septembre-octobre 2003 La balade canarienne Musique : "Te Deum" de Charpentier
21, 22, 23 septembre, on part, on ne part pas, la météo n'est pas géniale et je n'arrive plus à quitter Graciosa... L'un après l'autre, les copains s'en vont. D'autres bateaux arrivent. Le port se remplit peu à peu, la transhumance des voiliers qui vont "traverser" se décale doucement vers le sud. Le temps est nuageux, venteux, et même la baignade n'est pas très tentante. Petite soirée barbecue de poissons pêchés par Bruno de C'est-La-Vie. Nous sommes tous à bord du catamaran Zed : c'est bien, un cata de treize ou quatorze mètres, on est une douzaine dans le cockpit, confortablement installés sous un taud et le "buffet" est dans le carré ; on va se servir de salades variées pendant que Michel achève de cuire les poissons au grill sur le ponton. Le vent souffle, ce qui réjouit les amateurs de planche à voile et de "kite-surf", une planche de surf tractée par un cerf-volant du genre parapente. Je reste raisonnable, j'admire de la plage. On ne va pas se faire du mal, je choisis de me promener vers un volcan au sud de l'île ; son cône tombe directement dans la mer et au pied, il cache une crique délicieuse, une petite plage de sable blanc très abritée. L'eau est lisse, limpide, quelques baigneurs lézardent sur les rochers. Mercredi 24 septembre, dès 8 heures, Samos et Balum voguent vers l'île de Lanzarote. Bibi et Michel m'ont largué les amarres et leur fils Clément va être mon équipier pour cette journée. Clément a douze ans et ce n'est pas toujours drôle d'avoir son âge quand on voyage sur les océans : on va quand même à l'école ! Sur tous les bateaux avec papa-maman-enfants, le rituel du CNED occupe les matinées : cours par correspondance, avec les parents qui sont à tour de rôle profs de français, de maths... Clément est en 5ème, il vient me demander de l'aide pour ses devoirs de techno, bien sûr. Avec Samos, on a décidé de se photographier mutuellement sous voiles. Je l'attends dans le chenal entre Graciosa et Lanzarote. Balum se fait chahuter par la houle qui vient du nord-est ; Clément s'affaire à ranger les défenses, les amarres, on refait le plein de fuel avec un jerrican, mais les odeurs et le roulis ne vont pas lui réussir : il rend aux poissons tout son petit déjeuner ! Une petite sieste et il n'y paraîtra plus. Au début, on navigue "à la canarienne" : pas de grand-voile, nous n'établissons que le génois. Les côtes des îles dans l'axe de l'alizé subissent des accélérations du vent plus ou moins fortes selon les jours et on a entendu sur Radio-Ponton des histoires de rafales à 50 ou 60 nœuds aussi soudaines qu'imprévisibles... Avec Samos, nous déroulons progressivement tout notre génois, puis timidement nous hissons la grand-voile et finalement nous ferons le reste du trajet toutes voiles dehors. Je garde quand même un œil sur l'aspect des vagues qui nous annoncerait éventuellement LA rafale qui menace ; mais non, rien, soleil et bon vent. Nous abordons l'île de Lanzarote à Puerto Calero, une superbe marina très confortable, je dirais même luxueuse : les bittes d'amarrage sont en laiton poli ! Voilà qui va nous changer de la simplicité de Graciosa. Pour la première nuit nous sommes relégués dans le coin du ponton visiteurs ; les mariniers nous font déplacer deux ou trois fois, d'abord pour amarrer un gros catamaran, puis un grand yacht beaucoup plus beau que les nôtres : nous nous sentons mal aimés… Mais dès le lendemain matin, nous retrouvons le sourire. Accueil très professionnel, avec une harbour-master anglaise qui parle parfaitement l'espagnol, l'allemand, le français. Elle nous trouve des emplacements impeccables. Le port affiche complet parce que la Mini-Transat fait escale ici : soixante-dix bateaux de 6,50 mètres, affreusement bas sur l'eau et surtoilés, qui vont des Sables d'Olonne à Bahia au Brésil, à fond la caisse évidemment ! On estime souvent que mon bateau est bien petit ; mais les coureurs, eux, doivent ramper pour entrer dans leurs cabines, ils dorment pratiquement tout le temps dehors, ils ne mangent que du lyophilisé ; alors avec Balum, en comparaison, c'est "La croisière s'amuse" ! Une nuit vers une heure du matin, je suis réveillé par des hourrahs et des applaudissements : un des concurrents se range laborieusement contre le quai, il a cassé son mât et bricolé un gréement de fortune avec la bôme. Chapeau !
Lanzarote est une île sans eau et pourtant couverte de vignes ; les paysans ont inventé un système de "culture sèche". Chaque pied de vigne est entouré d'un muret en demi-cercle de deux ou trois mètres de diamètre et le pied de vigne est au fond d'une alvéole conique : la rosée de la nuit est piégée par la terre poreuse d'origine volcanique, c'est suffisant pour irriguer la plante ; grâce à ce procédé ils produisent le vin de Malvoisie, très bon, à vrai dire ! Une autre curiosité de Lanzarote, ce sont les réalisations de César Manrique, un peintre architecte sculpteur, un touche-à-tout qui fait penser à Picasso ; il a bâti sa fortune à New York, puis est revenu s'installer là où il est né pour se battre et développer le tourisme dans son île, tout en préservant son âme. Sa maison a été transformée en musée et c'est une merveille. Elle a été construite dans un champ de lave ; sous la croûte calcinée, des bulles de quelques mètres de diamètre s'étaient formées, avec souvent une cheminée débouchant à l'air libre. Perçage de couloirs pour relier ces pièces entre elles, canapés de cuir épousant la forme de la paroi, éclairages sophistiqués, piscine d'eau de mer, il n'en fallait pas plus pour transformer ce boyau de pierre en une modeste demeure de mille deux cents mètres carrés. La famille Pierafeu y trouverait sa place et moi aussi ! Un dimanche, nous allons à Teguise, ancien centre historique, où les guides touristiques nous annoncent un grand marché qui attire beaucoup de monde : alléchant. Nous n'y découvrons que les stands habituels des trottoirs européens, bijouterie en toc, tee-shirts, tatouages, néo-artisanat aussi canarien que moi ! Décevant. Dans un marché à un endroit pareil, nous avions imaginé des poules, des canards, des poissons, des vanniers, des bourreliers... Chrysalide est parti, Magael est déjà à Fuerteventura, Hobbit se dirige vers Tenerife pour des réparations, Antoine et Brigitte nous ont enfin rejoints depuis Graciosa. Michel installe des panneaux solaires sur Samos, Antoine perce quatre nouveaux hublots pour l'aération de Persévérance, moi je fais de petits bricolages et je lis : j'ai attaqué le quatrième tome de Harry Potter. Quel luxe, je me vautre dans le cockpit et je lis autant que je veux ! Agathe fête ses neuf ans à bord de Samos : elle déballe tous ses cadeaux, une canne à pêche, des chouchoux avec des petits dauphins bleus... Je lui ai fait un diaporama animé et sonore sur cédérom ; nous le visionnons sur l'ordinateur posé sur le capot du bateau, puis nous enchaînons avec des photos de Graciosa et de Lanzarote. La nuit tombe, Agathe est heureuse de grandir. Samedi 4 octobre, je salue Persévérance et je pars, seul pour une fois : cap sur l'île de Fuerteventura, vers le port de Gran Tarajal. Quelques nuages, vent léger et reposant, après une journée de navigation sur une mer belle j'arrive vers 7 heures du soir. Le vigile du port et des voisins du ponton m'aident à m'amarrer. Les emplacements sont équipés de "pendilles", une nouveauté pour Balum : l'avant est amarré au ponton, on récupère un petit bout' qui plonge dans l'eau, la "pendille", on tire dessus et on finit par attraper une aussière qui est frappée sur un corps mort au fond de l'eau ; avec celle-ci on amarre l'arrière du bateau et on la souque pour que la proue ne tape pas contre le ponton ; un truc inconnu en Bretagne, mais classique en Méditerranée et dans toutes les zones sans marée. Le vigile veut remplir les papiers, je ne comprends rien à ce qu'il me demande ; il ressemble aux chinois de "Tintin et le Lotus Bleu" et j'ai l'impression qu'il me parle en chinois ! Eh non, il essaie de me parler en anglais... Je me promène en ville avant que la nuit tombe : ici, il fait nuit noire vers 20 heures. Des enfants partout sur le front de mer, petit village, grande plage et pas de touristes ! Je vais en vitesse au supermercado car demain c'est dimanche. Retour au bateau et là, vers 21 heures 30, une grosse vedette de douze-treize mètres vient s'installer à côté de Balum, enfin, vient s'asseoir sur Balum. Et le propriétaire essaie de me faire comprendre que je devrais changer de place ! Il va rester là, en rajoutant généreusement un petit pare-battage de mon côté ; j'ai la nette impression d'être en plus un mauvais coucheur : un comble... Heureusement il n'y a ni clapot ni vent durant la nuit. Je n'ai pas envie de m'éterniser là. J'attends la météo de Radio-France- Internationale et, si les conditions sont favorables, je me dirige vers Santa Cruz de Ténérife : une journée et demie de traversée. Je devrais retrouver là-bas Samos et Persévérance. Nous aimerions voguer ensemble vers les îles du Cap Vert en compagnie de Hobbit et Chrysalide. Tous comptes faits, je reste encore une nuit ici. La météo de RFI annonce force 5- 6, ce qui correspond à ce que dit mon anémomètre ; mes voisins anglais trouvent que seule la météo française est fiable, les prévisions locales n'annoncent que 4-5 et pourtant les haubans sifflent ! Et puis la grosse vedette mal élevée est partie. J'en profite pour m'aérer. Le temps est venteux et brouillé, mais il faut que je fasse un peu d'exercice : naviguer n'est pas un sport très violent, en particulier pour les rotules, je dois les dérouiller ! Fuerteventura est une île volcanique, bien sûr ; ses paysages sont pourtant moins spectaculaires que Lanzarote. Sa particularité, ce sont ses dunes dans le sud. Elle est moins durement frappée par le développement touristique sauvage. Il n'y a que le stade de foot qui respire le luxe, ailleurs les vieux papiers et les sacs en plastique décorent les arbustes et les touffes d'herbe sèche. 6 octobre, je quitte Gran Tarajal, je contourne Fuerteventura par le sud pour viser Tenerife. Balum parcourt la moitié de la route au près, nous passons dans la nuit au large de Gran Canaria ; Puerto de la Luz porte bien son nom, il est tout illuminé. Je ne peux pas dormir à un endroit pareil, je suis obligé de veiller car je croise constamment des cargos ou des pêcheurs et je vais arriver groggy à Santa Cruz. Je suis accueilli par Loïc, Michel, plein de monde. Quand on navigue en solitaire, finalement, on n'est pas si seul ! La marina del Atlantico n'est pas très belle : elle est coincée au fond d'un bassin du port de commerce, l'eau est sale, les équipements sanitaires sont rustiques, mais j'y rencontre une quantité étonnante de navigateurs français : il y a même des Concarnois à côté de moi. Les habituels sont là ainsi que Tipalou, Zig-Zag, Merlin, des bateaux que je revois depuis plusieurs escales : le choix de la route est conditionné par l'intérêt des lieux à voir et le vent. La marina est presque au centre ville, près de la Plaza de España, c'est pratique pour explorer les quartiers piétonniers. Nous louons une voiture avec Samos pour une semaine et elle va, entre autres, beaucoup servir à faire les courses. C'est la dernière fois avant les Antilles que nous pouvons acheter en grande quantité des conserves en tous genres. A Tenerife, nous retrouvons nos hypermarchés familiers, Carrefour, Leroy-Merlin, Auchan (rebaptisé "Alcampo" !), alors les petits Français se déchaînent et les cartes bleues chauffent. Nous sillonnons l'île. Son volcan, El Teide, culmine à plus de trois mille sept cents mètres, c'est le plus haut sommet d'Espagne. Pour le voyageur navigateur, une virée en voiture à plus de deux mille deux cents mètres d'altitude ça défroisse les poumons ! Avec Brigitte, nous explorons le nord de Tenerife, un coin qui n'a pas encore été massacré par les projets immobiliers : des sommets déchiquetés, des criques sauvages. nous roulons au hasard des intersections, et elle me raconte ses aventures en Chine à la recherche de tribus perdues. Falaises vertigineuses, végétation surprenante, horizon brumeux, ajoutons-y une pincée d'ethnologie façon Indiana Jones et voilà une virée totalement dépaysante.
Balum est "cul à quai" au ponton, c'est plus facile pour faire des travaux. J'en profite pour installer un hublot ouvrant dans ma cabine arrière : l'aération devient bien meilleure. Je complète mes réserves de conserves et de pâtes et je range les coffres. Je change les drisses et les écoutes, mais je garde les anciennes comme rechanges, on ne sait jamais. Il ne me restera plus qu'à acheter du frais, légumes et laitages, Balum sera prêt à affronter le grand large. Dimanche 19 octobre, 7 heures 30, je quitte la marina del Atlantico : en route pour Gran Canaria. Le jour se lève à peine. Je manœuvre en silence, un œil sur les bateaux amarrés au ponton. Les équipages dorment encore. Brigitte sort dans le cockpit de Persévérance pour me saluer : on s'est donné rendez-vous au Cap Vert ou à La Barbade ; la grand-mère d'Antoine vient les retrouver ici pendant une semaine et ils partent après. J'espère que je les reverrai. La traversée va débuter au moteur par une matinée de calme presque plat, eau lisse et soleil, des conditions idéales pour voir des cétacés ! Le spectacle commence par un troupeau de globicéphales qui reviendront plusieurs fois à quelques encablures du bateau et puis les dauphins arrivent, des "dauphins tachetés de l'Atlantique" ; ils sont douze ou treize à faire les fous devant l'étrave ; je suis assis sur le balcon avant et l'eau est si transparente que je peux les distinguer jusqu'à une dizaine de mètres de profondeur. Pourquoi aller dans des marinelands ? Je m'en mets plein les yeux. Evidemment, les deux jeux de piles rechargeables de l'appareil photo sont à plat, donc pas de photo... Le vent se lève à mi-parcours, hélas exactement dans le nez : je continue au moteur. J'arrive dans l'après-midi à Puerto de Mogan où je suis accueilli par tout le monde, comme d'habitude ! Le port est plein, les copains ont vainement tenté de me réserver une place, plusieurs bateaux ont été refoulés depuis ce matin... Alors Loïc, Michel, Britta, Christine et Eric vont harceler - avec tact ! - le marinero qui gère les pontons. Il va refuser, puis fléchir, puis accepter : je me mets à couple de Chrysalide, sur l'emplacement d'un bateau de trente mètres, rien que ça. Notre marinero est tout étonné qu'Eric et Christine m'autorisent à passer sur leur pont pour aller à terre. Précisons que Chrysalide mesure quinze mètres, Balum dépasse à peine neuf mètres, alors le quai est loin, inaccessible ! Lendemain matin, 9 heures : il faut partir, Chrysalide et Balum doivent laisser la place à un voilier de vingt-deux mètres. Nous mouillons devant le port, au pied de la falaise. Du vent de sud est annoncé, évidemment le mouillage est exposé plein sud... Alléluia ! Teresa, la responsable du port, nous appelle à la VHF, des places se sont libérées : muchas gracias !
Le stress est un peu là, l'impatience aussi de vivre une si longue traversée. À Puerto de Mogan,
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