BALUM vers le Banc d'Argent

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Dixième bouteille à la mer - avril 2004

D'île en île vers le Triangle des Bermudes

Musique : tout Bob Marley !

Je veux aller à Montserrat, une île qui est en train d'être anéantie par son volcan ; depuis 1995, celui-ci est en éruption plus ou moins permanente et cette petite île qui dépend de la Grande Bretagne meurt à petit feu. Non, à grand feu. De quinze mille habitants, elle est passée à moins de quatre mille (mais non, ils ne sont pas tous restés sous la lave, ils ont émigré...). Belle traversée, rapide et ensoleillée ; je longe la côte au vent de l'île maudite, l'autre côté étant interdit pour cause de gaz toxiques en tous genres. Les grandes coulées ont atteint la mer, la capitale a été ensevelie. Ce jour-là, le volcan fume très fort, mais il n'y a pas de débordement de lave.

J'aimerais m'arrêter au moins une journée, hélas le seul mouillage fréquentable se révèle agité par une grande houle. Pas un seul yacht, quelques barques de pêche malmenées par les vagues. Un autre voilier arrive en même temps que Balum, on tourne, on réfléchit, la houle doit mesurer presque un mètre, c'est la garantie d'un séjour épouvantable, ce n'est pas raisonnable. Je pars vers Nevis, encore une trentaine de milles vers le nord. J'arrive à 10 heures du soir, nuit sans lune : c'est dans ces situations-là que j'apprécie d'avoir le GPS et la carte électronique. Je jette l'ancre près de barques que je devine dans l'obscurité, je ne sais pas trop où je suis... Je passe une nuit détestable, ballotté par un petit clapot désordonné. J'imagine ce que j'aurais eu à supporter à Montserrat !

Samedi matin, je veux faire ma clearance d'entrée : la douane étant fermée, je vais à la police et du coup je ne paie pas les taxes : "You are lucky", me dit la policewoman !

Après le déjeuner, je pars vers l'île de Saint-Kitts, trois heures de navigation. Mouillage dans la baie de Basse-Terre, dont le nom rappelle le passage des explorateurs français ; l'eau est un vrai miroir, enfin... Balum n'a qu'un voisin au mouillage. Une marina à peu près vide abrite six ou sept bateaux. Encore une qui a souffert des derniers cyclones. Saint-Kitts et Nevis, c'est un petit pays indépendant plus ou moins sous tutelle anglaise. Saint-Kitts, en fait c'est Saint-Christopher : eh oui, Cristobal Colon avait donné à cette île le nom de son saint et Nevis vient de Nieves, neiges en espagnol. La couverture de nuages au sommet de l'île avait sans doute évoqué à Christopher une piste de ski !

Je me prépare pour une virée à terre et je me dis que je vais aller amarrer mon annexe dans la marina. Le préposé en uniforme se précipite et m'annonce que c'est cinq dollars pour accrocher un youyou ! Celle-là, on ne me l'avait jamais faite, je lui rétorque "Hello good bye" et je vais poser l'annexe sur la plage.

L'île est paisible, j'ai une vraie sensation de bout du monde. A chaque fenêtre, j'entends de la musique, entre reggae et biguine ; des gens papotent dans la rue, c'est le temps de la promenade, nous sommes samedi après-midi. Quelques voitures passent à petite allure. Dans un bar, des couples dansent, sono modeste, tempo tranquille. Il me vient des images de rumba et de calypso, d'Amérique Latine des années cinquante. Sur le flanc du volcan, les champs de canne à sucre ondulent sous l'alizé. Le temps s'est arrêté.

Je pars le lendemain pour Saint-Barthélémy, "Saint-Barth" si vous préférez. Je laisse sur bâbord deux autres îles, des colonies autonomes hollandaises, Saba et Statia. Encore un raccourci, Statia en version longue c'est Saint-Eustache. Ces deux petites îles n'ont pas des mouillages très abrités, je ne les verrai que de loin. Saint-Barth est en revanche une île française, un canton de la Guadeloupe, mais comme Saint-Martin, c'est un port franc. Les guides parlent de "Saint-Trop' des Caraïbes", de "jet set"... Voilà qui ne m'attire guère... Je vais faire un tour dans la capitale Gustavia, et mon enthousiasme est modéré : boutiques haut de gamme, bistrots de luxe, quelques yachts géants, une ambiance que je n'aime pas, ce ne sont pas les Antilles, ce pourrait être n'importe où ailleurs. Après une nuit au mouillage dans la rade de Gustavia, je fais cap sur l'île de Saint- Martin.

Depuis mon départ de Guadeloupe, j'enchaîne les îles, Montserrat, Nevis, Saint- Kitts, Saint-Barth, je salue Statia et Saba, ainsi que Anguilla au nord de Saint-Martin. Le plaisir de la navigation dans les Petites Antilles, c'est qu'on navigue toujours à vue ; d'une île à l'autre, une journée de navigation suffit, et il en faut souvent moins. Quelques heures de voile et on change de pays, de langue, parfois de monnaie. Toutes ces îles se ressemblent bien sûr, mais chacune a sa personnalité, sa touche. Saint-Martin, ou devrais-je dire Saint-Martin /Sint-Maarten ? Cette île est partagée entre la France et la Hollande, mais de chaque côté, ce sont des zones franches, free tax ! Si on ajoute que du côté hollandais, il y a plein de casinos, on peut imaginer l'attrait de cette île pour les touristes, en particulier américains.

Balum va passer une semaine à Marigot, du côté français, moitié au mouillage dans la baie, moitié dans la marina. Je prends mes habitudes dans les bistrots qui animent le front de mer, et je constate avec stupéfaction que dans ce coin de France tropicale, la première langue de bon nombre d'autochtones est l'anglais ! Ma serveuse est toute fière de m'annoncer qu'elle sait dire "Bonjour, comment allez- vous ? Paris, Tour Eiffel…" La francophonie n'a pas encore atteint Saint-Martin…

Je vais faire des achats, free tax bien sûr : un pilote automatique, mon beau pilote tout neuf acheté avant de partir de Bretagne ayant définitivement décidé de faire n'importe quoi ; et un appareil photo numérique à un prix absolument imbattable. Je fais mon shopping à Philipsburg, la capitale de la partie hollandaise : le centre ville est une gigantesque galerie marchande et les paquebots de croisière y déversent chaque jour des milliers de consommateurs déchaînés. Ce jour-là, sept paquebots faisaient escale dans le port...

Je consacre une partie de ma semaine à faire des réparations à bord : je dois régler un certain nombre de problèmes électriques, la corrosion due à l'humidité fait des ravages. Je change des drisses, je couds des penons sur la grand-voile, je remplace le coinceur de l'enrouleur de génois, en résumé Balum va bientôt être prêt pour les grandes traversées qui l'attendent.

Dans la marina, je retrouve Yanka et son skipper Pascal, déjà croisé à Sal au Cap Vert, puis plus tard au Marin en Martinique. Il arrive en même temps qu'Artémo, un beau Chassiron de douze mètres tout de bois verni. L'équipage d'Artémo est franco- américain ; Frédo est marié à Kathleen et ils sont partis sans date de retour avec leurs deux fils, Julien et Jacques. S'ils trouvent un jour, au hasard d'une escale, un endroit qui leur plaît, ils s'installeront et poseront leurs sacs, m'expliquent-ils ! Le pastis qu'on boit à bord d'Artémo est bien français et les soirées vont être joyeuses ! Au coucher du soleil, un des énormes yachts de croisière du port (soixante mètres...) envoie deux coups de sirène ; aussitôt Frédo prend sa corne de brume genre supporter de foot et l'actionne en riant comme un bossu. Le lendemain, on apprendra que les coups de sirène saluaient le retour d'une cérémonie, l'équipage venait de disperser au large les cendres de l'un des leurs...

Je revois également Pégase, déjà vu à Antigua et Crisbel, déjà vu à Rivière-Sens. Quelques virées rapides à travers l'île, et puis c'est tout. Saint-Martin est sans doute une belle île, je n'en fais même pas le tour complet, je n'ai pas la tête à ça. Son côté trop européen, trop occidental me semble bien ordinaire, après la Guadeloupe et les Grenadines.

Dimanche 4 avril. Je me décide, je pars vers les Iles Vierges Britanniques, les "BVI" (British Virgin Islands). A 16 heures, Je m'éloigne enfin après m'être fait piéger par un énorme catamaran de croisière : il est mouillé non loin de Balum, mais, le vent ayant tourné, il est juste au-dessus de mon ancre ! Il pèse soixante-dix tonnes et mesure vingt-cinq mètres de long, m'assurent mes voisins qui regardent la scène avec intérêt. J'attends entre deux rafales que le vent tourne et vingt minutes plus tard, je suis parti. Je vais avoir de la pétole, de la calmasse, pas de vent quoi, toute la nuit ! Moteur. Une heure de voile au lever du soleil, histoire de me reposer du bruit du diesel, et j'arrive à Virgin Gorda, une des BVI, à 8 heures du matin.

Je m'installe dans le Drake's Anchorage. Je m'approche de la barrière de corail, je jette l'ancre dans un mètre cinquante d'eau cristalline et je réussis presque à assommer une raie avec l'ancre. Cette sotte ne s'enfuit même pas, elle a l'air très intéressée par la chaîne. Dans l'après-midi, je vais en voir une autre juste sous l'annexe. Balum est seul au milieu du récif, j'enfile masque et tuba pour me promener au milieu des patates de corail, histoire de taquiner les poissons.

Les BVI, ce sont des dizaines d'îles et d'îlots, un archipel qui mérite sans doute une croisière à lui tout seul et d'ailleurs il grouille de bateaux. Les sensations ne sont plus celles des Antilles du sud. On commence à parler espagnol en plus de l'anglais et le plaisancier, ici, est américain ! Tout près, il y a les Iles Vierges Américaines, les "USVI" et la grande île de Porto Rico, autre dépendance américaine. La plupart des bateaux sont sous pavillon gringo et ils naviguent beaucoup ! Pendant la journée des dizaines de voiliers croisent au large, les mouillages sauvages sont pris d'assaut. Malgré tout, c'est un endroit magnifique, plein de ressources et je vais dénicher des anses très tranquilles.

Je pars vers Saint-Thomas Bay, je fais ma clearance et je saute à l'eau. Il y a des buissons de corail de toute beauté, je me régale. Les "Baths" sont une des curiosités de Virgin Gorga : ce sont des amoncellements de blocs de granit arrondis par l'érosion qui forment des piscines naturelles avec fond de sable blanc. Ce site, vraiment photogénique, est très utilisé pour la publicité ; je fais une tentative un matin, mais il y a décidément trop de voiliers. Je tourne, j'hésite, non. Je pointe l'étrave vers Tortola, l'île la plus importante des BVI. Trois heures de voile paisibles et je jette l'ancre dans une petite crique à côté de Maya Cove. Il n'y a là qu'un voilier au mouillage et il va me laisser seul en fin de journée. Balum est au pied de Buck Island, un îlot privé comme il en existe un certain nombre dans l'archipel. Je nage jusqu'à la plage et en arrivant, je dérange un poulpe qui me crache son encre ! L'endroit est beau et absolument désert. Le luxe... Sur les hauteurs, j'aperçois une somptueuse villa en construction.

Le lendemain, je traverse vers Peter Island : du vent, une mer plate, du soleil. Plongées, sieste. Cap sur Norman Island ; la légende dit qu'au fond d'une grotte, dans une baie de la côte ouest, on a trouvé un trésor au début du siècle... Stevenson s'en est inspiré, paraît-il, pour "L'île au trésor" ! Je plonge dans la grotte la plus spectaculaire et je crie sous l'eau : "Pièces de huit ! Pièces de huit !" comme le perroquet de Long John Silver.  Comme il y a trop de monde, je change de mouillage après avoir chargé à bord de Balum un coffre plein de ducats et de doublons et je me réfugie devant une plage presque déserte. L'ancre est plantée dans le sable, mais une petite brise nous fait pivoter et nous amène au-dessus des patates de corail bien visibles à trois ou quatre mètres de profondeur. Je m'assieds dans la jupe à l'arrière de Balum, les pieds dans l'eau et je dévore des yeux les poissons fluorescents qui ondulent entre les gorgones. C'est magique. Je me laisse couler sous la coque, pas besoin de palmer, je suis dans l'aquarium. Revenons aux ducats et aux doublons. Depuis Porto-Santo, j'ai commencé un stock de souvenirs : je ramasse un caillou par île et je dessine dessus la petite baleine de Balum et le nom de l'île. Des cailloux ordinaires, des morceaux de coquillage, un bout de bois. Plus tard aux Açores, je récupèrerai même un éclat de table en plastique explosée par un toro ! Dans la grotte au trésor, je trouve au fond de l'eau un galet en forme de disque, une pièce d'or fossilisée, c'est sûr.

Je me dirige vers la "Village Cay Marina" sur l'île de Tortola. J'essaie de contacter la marina à la VHF, je ne comprends rien à ce qu'ils me disent. J'accoste provisoirement à un ponton et vais à la capitainerie : pas de place, demain peut-être. Je fais alors un départ totalement merdouillou : je traînais l'annexe derrière Balum et pendant que je parlementais, elle en a profité pour se glisser sous le ponton, l'air de rien, bien coincée. Marche arrière, mais au lieu de reculer en ligne droite, Balum pivote à 90° ! Il s'en faut d'un rien pour que je tape la somptueuse coque laquée bleu marine d'une vedette de vingt-cinq mètres. Je m'excuse platement et pars vite jeter l'ancre à l'entrée du port.

Une place s'est libérée. Je vais passer deux jours au ponton, à côté de grosses vedettes portoricaines, du genre à pêcher le marlin et l'espadon. Des skippers bedonnants trinquent au whisky, casquettes de base-ball et grands rires sonores, je ne me sens pas très à l'aise. Je fais des achats pour la cambuse, les pleins d'eau et de fuel et je flâne. J'assiste à un grand concours de cerfs volants réservé aux enfants. Les papas et les grands frères aident les plus petits, le ciel est rempli de losanges, de papillons, de prismes multicolores ; en fin de journée j'assiste à la distribution des prix : le plus beau, le plus haut, le plus jeune...

J'avais eu des envies de m'arrêter à Porto Rico, mais il faut un visa qui coûte cher et qui est long à obtenir. Tant pis, je décide de filer directement vers Saint-Domingue, plus exactement la République Dominicaine, à ne pas confondre avec l'île de la Dominique. Et je fais un départ encore plus merdouillou ! Il faut croire que je n'étais pas réveillé, je ne me rends pas compte de la force du vent dans le port, je recule, hélas pas assez loin pour pivoter et une rafale me rabat sur mes voisins, les trois ou quatre vedettes portoricaines ! Branle-bas de combat, tout le monde rapplique et je réussis péniblement à partir, je n'ai rien abîmé, mais il s'en est fallu d'un cheveu. Décidément j'aurais dû éviter cette marina !

Il me faut trois jours pour aller à Saint-Domingue : premier jour avec du bon vent, puis deux jours avec une brise évanescente. Histoire de mettre de l'animation, la petite rotule qui sert à accrocher le pilote automatique sur la barre se casse, une pièce en inox massif. Je fais une réparation de fortune avec une cale de bois percée et des "serflex", ça tient. Je suis assez content de moi. Je longe la côte portoricaine à environ vingt-cinq milles nautiques. La nuit, je repère les villes à leurs lueurs dans le ciel. Le détecteur de radar "bippe" en permanence, je suis pisté par les douaniers portoricains qui chassent les immigrants clandestins et les trafiquants en tous genres. Je ne sais pas si je dois être inquiet ou rassuré... Je termine au matin par quatre heures de moteur pour entrer en baie de Samana, grande baie sur la côte est de Saint-Domingue. Pas de baleine et pourtant je guette !

La baie de Samana est un des hauts lieux mondiaux pour faire du "whale watching", mais en fait les baleines ne sont là que jusqu'aux environs du 15 mars, et on est déjà le 16 avril... Je jette l'ancre dans le port de Santa Barbara de Samana. Dans les Instructions, il est bien précisé qu'il est interdit d'aller à terre, il faut attendre la venue de la douane à bord. J'ai hissé le drapeau jaune - il signifie que je n'ai pas encore fait les formalités - et le pavillon de courtoisie. L'après-midi, toujours personne. Je fais la sieste. Finalement, un gamin d'une quinzaine d'années passe dans une barque minuscule, il m'explique qu'il est allé chercher les douaniers. Je lui demande qui il est, il me répond qu'il est l'interprète. Moi je suis Paul VI et mon copain c'est les Beatles, comme disait Coluche.

Mon interprète estampillé réfléchit, il me dit enfin que je n'ai qu'à gonfler mon annexe, j'irai chercher les officiels sur le quai pour les amener sur Balum. Bon. Je m'exécute, j'arrive au quai et ils sont quatre à vouloir venir. Avec mon youyou, quand on est trois passagers à bord, deux au moins se mouillent le derrière ! Finalement, je vais faire les formalités à terre. Je croyais que c'était formellement interdit !

Je me rends au bureau de la Marine de Guerre. Un sous-fifre, limite analphabète, met une demi-heure à remplir le papier, il recopie en majuscules mon passeport, la langue touchant le bout du nez. A la fin, il m'explique que ce n'est pas payant, mais que je donne ce que je veux. Je lui donne deux dollars. Me voilà en train de corrompre un militaire ! Au bout du compte, entre les services de l'immigration, le port et le bakchich, cette clearance m'a coûté soixante-cinq dollars. Un record d'autant plus étonnant que ce pays est très pauvre. Bon, autant piquer du fric aux "yachties" pleins de dollars...

Le lendemain matin, grasse matinée, au chaud sous la couette : il a plu toute la nuit et le déluge continue ; l'eau du port est marron chocolat, des déchets flottent autour des bateaux : la pluie a dû faire gonfler et rincer toutes les rigoles de la ville. Je rencontre André et Joanne, deux Québécois qui viennent d'arriver sur leur voilier Katak ; ils remontent vers le Québec en passant par les Bahamas puis les waterways américains, ces canaux qui longent toute la côte est des USA. Ils vont à quai faire leur clearance et me demandent le prix de la sanction... Ils me diront plus tard qu'ils ont payé la même somme que moi.

La pluie a l'air de se calmer. Après avoir longtemps hésité, je sèche comme je peux le siège du youyou et je vais à terre. Assez rapidement je me lasse de zigzaguer entre les flaques, je rentre dans un restaurant et j'y retrouve, le hasard fait bien les choses, André et Joanne. Ils rentrent dans leur belle province après cinq ans de cabotage dans les Antilles. Ils ont une petite soixantaine tous les deux et ils rêvent maintenant d'aller s'installer dans la région de Toulouse (en France !) pour quelques mois ou quelques années : à partir de là, ils visiteront l'Europe. Nous fêtons nos retours respectifs autour d'une "Presidente", la bière de Saint-Domingue.

Dans la soirée, nous faisons un échange de livres : entre navigateurs, c'est traditionnel. Soit c'est à la hauteur de la pile de livres, soit c'est au nombre. Ils vont me passer entre autres "les mémoires de guerre" de Charles De Gaulle ! On a le temps de lire de drôles de choses, en croisière.

La pluie continue, on se croirait en automne. Je lis. C'est dans ces conditions qu'il est appréciable d'avoir un ordinateur et des vidéos à bord. Hier soir j'ai regardé "Le sortilège du scorpion de jade" de Woody Allen, et ce soir c'est "Tigres et dragons", une chinoiserie avec combats façon "Matrix" tout à fait intéressante.

Saint-Domingue, c'est l'Amérique Centrale, c'est la culture hispanique, c'est Cuba tout près. Des années de dictature ont ruiné le pays et il y a un joyeux mélange de quartiers bidonvilles et de réalisations tape-à-l'œil. Un îlot ferme le port ; un apparatchik de l'ancien régime devait y bâtir une villa, alors il avait fait construire un pont de trois cents ou quatre cents mètres de long qui avait dû coûter des millions. En vain, car l'îlot est resté totalement désert. Une marina est en construction au fond du port depuis dix ans, semble-t-il. Quelques poteaux émergent de l'eau, alors dans dix ans peut-être...

Ici les taxis sont des "motoconchos" : une moto 125cc et ça suffit, on a monté son affaire de taxi, le client s'installe à l'arrière ! La version luxe, c'est la même moto traînant une carriole avec deux places assises et couvertes. J'admire différents spécimens joliment peints, avec des inscriptions du genre "Dios es amor". On ne sait jamais.

Je suis toujours sous les Tropiques, l'arrière pays est très beau, très vert, je découvre de jolies plages au fond de petites criques abritées, ombragées de cocotiers. Mais il pleut décidément trop.   Je suis parti de Morgat depuis plus de neuf mois. Madère, les Canaries, Le Cap Vert, les îles des Antilles, grandes ou petites, les Iles Vierges, Saint-Domingue... Mes amis de Penn Kalet m'ont envoyé un petit "mail" il y a quelques jours : "... On a hâte de revenir, de retrouver la famille, nos amis. Après neuf mois de voyage on arrive à un moment où on aimerait bien se poser quelque part. L'itinérance n'est pas tous les jours facile à vivre..." C'est vrai : depuis que j'ai quitté la Guadeloupe, après le départ de René et des trois copines, j'ai l'impression d'avoir perdu ma curiosité, mes envies de découverte. Je me suis arrêté à Nevis, à Saint-Kitts, à peine une journée. J'ai regardé de loin Saba et Statia. Je ne me suis pas arrêté à Anguilla. A Saint-Martin, j'ai traversé l'île pour faire des achats et puis c'est tout. Les Iles Vierges m'ont beaucoup plu, mais je m'y suis conduit comme un consommateur de coins paradisiaques, parfois deux mouillages différents par jour ! Je ne suis plus disponible... J'ai toujours autant de plaisir à faire des rencontres nouvelles, mais la magie des îles tropicales n'opère plus aussi bien, je commence à être rassasié. Je suis à Saint-Domingue, pas de baleines et il pleut. Il est temps que je tourne à nouveau l'étrave de Balum vers l'est, vers le soleil levant, l'Europe. Va-t-on me croire quand je raconterai qu'un jour je me suis lassé de ces îles de rêve...

Lundi matin 19 avril : il ne fait pas très beau, j'ai décidé pourtant de lever le camp. Je voudrais prendre une météo sur cinq jours au cyber-café :  Les prévisions se révèleront totalement fausses... Là je croise mes amis québécois. Ils partent mercredi, nous nous saluons et nous donnons rendez-vous en Bretagne dans un an ou deux. Bon vent !

13 heures 30, je remonte mon ancre, elle est couverte de boue gluante, comme la chaîne : pas très ragoûtant… Pour quitter la baie de Samana, je vais faire route au diesel : le vent est au nord-est, les Bermudes sont au nord-est... Ce n'est pas grave, je veux passer par le Banc d'Argent.

Le "Silver Bank", en anglais, est un plateau corallien à une soixantaine de kilomètres au nord, au large de la République Dominicaine. C'est une table de corail plus ou moins carrée d'environ cinquante kilomètres de côté, loin de tout, à quelques mètres sous la surface. Sur le pourtour, c'est un tombant presque vertical jusqu'à cinq mille mètres de profondeur. A quelques endroits, le corail affleure la surface. Les jours de gros temps, la mer déferle, mais par beau temps, le danger est invisible. A l'ère du GPS et des cartes électroniques, ce n'est pas un problème de naviguer là, mais j'imagine tous les drames qui ont dû se dérouler dans ces eaux bleues. Les baleines à bosse avaient découvert ce lieu bien longtemps avant l'homme pour venir y mettre au monde leurs petits. Tous les hivers, des milliers d'individus viennent ici et trouvent les conditions propices à la croissance des baleineaux : des eaux chaudes, des fonds de faible profondeur pour les protéger des prédateurs, des grands fonds pour aller se nourrir. Comme en baie de Samana, j'arrive ici trop tard dans la saison : dès la mi-mars ces mammifères géants repartent vers le nord, vers les eaux polaires pour se goinfrer de krill. Je n'en verrai aucun, je m'y étais préparé, mais je longe quand même le récif de corail, à quelques centaines de mètres du tombant, fasciné par cette merveille de la nature que je ne peux qu'imaginer.

J'ai repris ma route, mais je ne peux faire mieux que cap au nord. Balum fait du près serré, j'ai roulé la moitié du génois et pris deux ris dans la grand-voile. Pendant trois jours, le vent va souffler force 6-7. Les vagues déferlent sur le pont. Tout est mouillé dans le bateau, l'eau s'infiltre par deux hublots, il y en a même sous les planchers. Un coup de pompe de temps en temps, des coups de serpillière et puis j'attends. La seule occupation possible, c'est la lecture, calé dans la descente avec des coussins. Le bateau marche bien, 122 milles en vingt-quatre heures, 130 milles, 133 milles.

Mercredi 21 avril 2004 : je repasse le Tropique du Cancer, latitude 23° 27', mais cette fois-ci je vais vers le nord ; la dernière fois, le 28 octobre 2003, j'allais vers le sud, vers le Cap Vert. Les trois jours suivants, le vent va faiblir, force 4-5, mais il ne change pas de direction. Balum est toujours au près serré. Si les conditions ne changent pas, nous allons atterrir à New York ou Philadelphie ! Peu à peu je me suis habitué à vivre dans le bateau gîté, je prends le rythme de la traversée. Le ciel redevient bleu, un jour peut-être nous arriverons aux Bermudes. Le matin, 22° : il fait frisquet ! Bon, d'accord, tout est relatif, mais j'arrive des Tropiques... Balum a ralenti, le près n'est vraiment pas sa meilleure allure : 99 milles par jour, 85 milles, 88 milles...

Je croise un cargo, il m'appelle à la VHF. Il va vers la Méditerranée, nous échangeons quelques mots. La réparation sur la rotule d'accrochage du pilote automatique casse. Heureusement j'avais prévu le coup, j'avais fabriqué une cale de bois de rechange, fixée différemment. Le nouveau bricolage est beaucoup plus "pro", celui-là va tenir, c'est sûr !

Je lis "Tamata ou l'alliance" de Moitessier, une nouvelle édition pleine de photos que m'ont offerte mes amis quimpérois Michèle et Pierre. Je l'avais déjà lu, mais là, est-ce le cadre ou la nouvelle édition, je suis pris. J'avais trouvé le pavé un peu long, un peu confus et là je suis ému par ce vieux bonhomme qui raconte son enfance, ses rêves fous, ses faiblesses et ses doutes. Je le lis par petits bouts, je ralentis, je reviens en arrière pour mieux en profiter, pour savourer.

25 avril, 29°08' nord - 70°48' ouest : depuis ce matin, j'observe de drôles de bêtes, des animaux marins qui marchent à la voile ! Je devine des sortes de tentacules de longueurs inégales sous la surface, mais le plus étonnant, c'est une coquille Saint- Jacques transparente et gonflée d'air de vingt centimètres de long qui sert manifestement de voile ! Jamais vu cette chimère ! J'ai d'abord cru que j'avais affaire à des jouets en plastique, mais non, c'est vivant. Je suis là, à essayer de faire des photos, quand tout à coup... Oui, là, à cinq cents mètres de Balum, un troupeau de baleines à bosses ! Je commençais à croire que je rentrerais en France sans en avoir vu... Le troupeau est là et quatre d'entre elles vont même me gratifier d'un saut superbe, entièrement hors de l'eau, avec grosses éclaboussures ! Tout va bien, je peux rentrer à Morgat. Dois-je rappeler que Balum signifie baleine en breton, j'espérais que ce beau nom attirerait tous les mysticètes et autres grands odontocètes de l'Atlantique... Il y a quelques années, j'avais séjourné à deux reprises dans les îles Hawaii : leurs eaux chaudes hébergent pendant l'hiver les baleines à bosse du Pacifique Nord avec leurs petits. J'avais eu le bonheur d'en admirer des dizaines, des centaines, à bord de bateaux - dont un voilier nommé whale mist - et même depuis la plage, depuis la voiture en descendant simplement la vitre... Sur le Saint-Laurent, au Québec, nous avions embarqué, avec trois futurs didieristes, sur un gros Zodiac : à peine partis, à trois cents mètres du bord, une baleine bleue nous avait salués, suivie de rorquals plus ou moins grands et de bélugas ! Un été, j'avais voulu me tester en faisant un aller-retour Bénodet-Santander, traversée du Golfe de Gascogne en solitaire à bord de Shaka, le prédécesseur de Balum ; quatre fois j'avais admiré des rorquals. Je commence à croire que j'ai dépassé mon quota.

Après six jours de près serré, le vent va tourner doucement, je commence à me diriger vers les Bermudes, d'abord au près, ensuite le vent s'oriente peu à peu au sud-est, puis au sud. Enfin Balum se remet à naviguer à plat, je n'irai pas à New York. J'observe le baromètre ces derniers jours, il oscille bizarrement, il va passer de 1025 à 1018 en vingt-quatre heures, puis il va atteindre 1033 aux Bermudes.

La veille de mon arrivée, 7 heures 40, installé à la table à cartes j'écoute la météo sur Radio-France-Internationale, quand tout à coup le bazar démarre. En quelques minutes, le vent passe de 15 à 35 nœuds et une pluie torrentielle vient rincer Balum. Je me jette sur la barre, débranche le pilote automatique qui ne sait plus ce qu'il doit faire : le vent a tourné de 180° ! Je barre, je suis dégoulinant. Je réussis finalement à rouler complètement le génois, les cabrioles baissent d'un cran. Au bout de vingt minutes, le vent tombe, la pluie se calme, ça suffit ! Je vais me changer des pieds à la tête et je mets mon ciré que je n'avais pas sorti depuis des mois. La pluie est entrée à l'horizontale dans le bateau, presque jusque dans la cabine avant. J'ai froid, je grelotte. Depuis hier soir, je faisais des calculs pour arriver aux Bermudes avant la nuit, Balum marchait bien, 6-7 nœuds. Raté. Il n'y a plus de vent, on se traîne.

Je décide de faire une pause, je mets Balum à la cape, génois à contre, grand- voile choquée en grand et barre sous le vent : la conséquence est que le bateau se met plus ou moins en travers des vagues, il bouchonne tranquillement, finis les cahots, je vais faire la sieste ! Je m'accorde quelques heures de repos, puis je me remets en route en début de soirée. J'avais pris un rythme de sommeil très relax ces dernières nuits, je retrouve mes petits sommes d'une demi-heure en approchant de la terre.

Les Bermudes, c'est un récif corallien loin de tout, dans le passage du Gulf Stream et ce courant chaud recrée des conditions tropicales à une latitude plutôt tempérée. La partie émergée est toute petite par rapport à la partie invisible et il n'y a qu'une passe praticable pour aborder les îles, au nord-est. Ces îles basses ne devaient pas être faciles à localiser à l'époque des sextants, des octants et des astrolabes, et certains récifs étaient presque impossibles à voir ; alors dans ce champ de mines, les épaves abondent depuis des siècles. Aujourd'hui, il y a des techniques modernes : tous les bateaux qui approchent sont suivis au radar depuis l'île et contactés au large par radio ; à 4 heures du matin, j'entends un appel, l'opérateur demande au voilier situé à telles coordonnées d'appeler Bermuda Harbour Radio. Je me lance : "Bermuda Harbour Radio, this is the french sailing boat Balum, I suppose you're calling me ?" Pas de doute, on me suit au radar. La conversation s'engage, je demande à l'opérateur de parler lentement. Il veut tout savoir, les caractéristiques du voilier, le radeau de survie, le GPS, en bref il veut connaître tout ce qui assure la sécurité du bateau. Et il fait son travail avec gentillesse, il répète quand je ne comprends pas et il est 4 heures du matin. Ah que j'aimerais que tous les douaniers et autres personnes qui sont censées accueillir les voiliers voyageurs dans le monde soient de la même eau ! Il finit par me souhaiter un bon séjour aux Bermudes. Voilà qui commence bien.

29 avril 2004 : du vent, une mer à peine agitée et bleue comme un cocktail blue lagoon, l'arrivée est magnifique. Une tranchée rectiligne, la town cut, a été taillée dans la colline pour entrer dans le port de Saint-George, l'ancienne passe était sinueuse et sans doute mal adaptée aux gros paquebots. Je vais accoster au quai de la douane, formalités aimables et rapides, je jette l'ancre dans Convict Bay. Je suis aux Bermudes, j'ai traversé le Triangle !

 

Les Bermudes sont un ensemble d'îles et d'îlots tous reliés par des ponts. Leur surface totale représente la moitié de Belle-Ile-en-mer, mais elles sont peuplées de soixante-quatorze mille habitants, contre cinq mille pour l'île française ! Encore un pays qui est devenu autonome après avoir été une colonie anglaise. Le Schilling et la Livre ont laissé place au Dollar bermudien, à parité égale avec le Dollar US, la Floride n'est pas loin. Pendant longtemps, cet archipel a été une base arrière des pirates et des corsaires, il est devenu une grosse base militaire anglaise et il a même hébergé jusqu'en 1995 une base américaine. Aujourd'hui, ses deux sources de richesse sont le tourisme et la finance : les Bermudes sont un "paradis fiscal". La population bénéficie d'un des plus hauts revenus par habitant au monde.

Ma première impression, en allant me promener dans les rues de Saint-George, a été de me retrouver dans un décor de cinéma. Vous souvenez-vous du feuilleton "Le prisonnier" : "Je n'suis pas un numérooooo...". Tout est propre, les maisons sont peintes de frais avec de belles couleurs pastel, la vitesse dans toute l'île est limitée à vingt miles/heure, trente-deux kilomètres/heure ! Le ciel est bleu, partout l'eau a une couleur incroyable, je suis sous le charme.

J'ai décidé de passer une dizaine de jours ici, l'endroit me plaît vraiment. Dans le mouillage, il y a quelques voiliers, la plupart canadiens, quelques-uns américains, ainsi qu'un très beau catamaran, Vanikoro, mené par une famille française. Philippe et Sylvie voyagent depuis deux ans avec leurs enfants Camille et Quentin, sur leur bateau fait main. Ils ont mis un an à construire ce bateau de treize mètres et le résultat m'impressionne. On voit souvent des constructions "amateur" pas très convaincantes, là c'est du travail professionnel. Il faut dire qu'ils en sont à leur cinquième construction et ils parlent déjà du suivant, un monocoque qui les conduira, si tout va bien, vers les canaux de Patagonie. Quentin est en CE1, Camille est en 4ème, mais pour tous les deux, le CNED n'est pas drôle, surtout quand on est en train de faire du cabotage entre Venezuela et Trinidad ! Camille, qui est une adolescente pleine de ressources, a trouvé un bon moyen de se faire de l'argent de poche. Elle dessine des cartes de la Caraïbe très colorées, ou bien elle recopie de beaux textes qu'elle trouve ici et là, les met en couleurs sur du papier aquarelle, les place dans un cadre fait main, puis elle va proposer ses œuvres à tous les bateaux du voisinage. Elle en fait en anglais et en français, il y en a pour tout le monde ! Et son petit business marche, mais je suis sûr que le charme de la vendeuse y est pour beaucoup. Le soir, nous réfléchissons aux nouveautés qu'elle doit créer : Vanikoro partant vers les Açores, il faut se renouveler. Nous discutons à un moment des pavillons de marine qui représentent chacun une lettre et c'est parti, elle a des idées, elle commence à griffonner de nouveaux modèles. Je lui donne rendez-vous à Horta, je veux voir le résultat. Camille m'a offert ce texte :

J'ai traversé les océans,
petit élément dans ce milieu où le respect
est à la base d'un équilibre qui dure depuis toujours.
J'ai croisé le regard des baleines,
sagesse de plus de cinquante millions d'années de paix.
Le sillage s'est refermé après mon passage.
Pas une seule trace.
Rien d'autre que la curiosité de découvrir au-delà de l'horizon.

J'ai acheté un carnet de tickets pour les bus, et ces tickets sont valables aussi pour les vedettes qui sillonnent les canaux et le lagon. Selon les cas, je prends l'un ou l'autre pour aller à Hamilton, la capitale, ou bien au Royal Naval Dockyard, l'ancienne base navale militaire. Il y a de belles réalisations architecturales dans l'île : les Anglais avaient trouvé un bon truc pour faire les travaux publics : quand ils n'avaient plus d'esclaves, ils importaient des bagnards. Des constructions magnifiques, des quais en pierre de taille (des blocs de corail, bien sûr) doivent leur existence à ces pauvres prisonniers qui étaient logés - entassés serait le mot juste - dans des vaisseaux de guerre pris aux Français, les fameux "pontons".

Cette île est vraiment un régal pour les yeux : tout est soigné, ordonné, les gens sont bien élevés. Ce petit archipel abrite pas moins d'une dizaine de terrains de golf dix-huit trous dont les greens sont ratissés avec amour.

Bon, il y a une petite contrepartie, la vie est vraiment chère, rien n'est parfait. Hamilton est une grosse bourgade cossue ; les banques et les bâtiments publics sont entourés de parcs très anglais, les immeubles sont impeccables de propreté. Pas de pollution ici, pas de vilaines usines crachant des saletés, et la circulation automobile reste raisonnable. Le centre ville donne directement sur le quai où sont amarrés les luxueux paquebots de croisière. Les hublots des cabines surplombent le défilé des scooters et des camionnettes de livraison et je me dis que le vrai luxe, c'est quand même Balum posé à quelques mètres d'une plage déserte.

J'explore les boutiques à souvenirs pour trouver de vrais morceaux du Triangle des Bermudes. Il faut croire que les GPS et les satellites ont compliqué la tâche des extraterrestres, les disparitions mystérieuses ne font plus recette. Je m'offre finalement un beau polo "Bermuda Triangle Survivor", j'aurai une preuve de mon passage ici, au cas où Balum bascule dans une faille du continuum espace-temps.

Dans quelques jours, je reprends la mer. Peut-être vais-je être rejoint par des bateaux amis, mais avec eux ou sans eux, je me prépare pour une grande traversée : les Açores sont à environ mille sept cents milles nautiques, quinze à vingt jours de mer. J'ai étudié ma route avec les Instructions Nautiques : elles conseillent de monter au nord-est jusque vers le 38-39ème parallèle, mais pas plus haut, il y a des risques d'icebergs. Là, j'ai des chances de trouver les grands vents d'ouest qui me pousseront vers Florès, la première des îles de l'archipel des Açores.

 Les Bermudes, c'est une de ces destinations qui m'ont toujours fait rêver. Je connaissais son Triangle et ses martiens qui kidnappent les avions et les cargos, je connaissais aussi le gréement dit "bermudien" (grand-voile triangulaire, synonyme du gréement marconi, celui de Balum...) ; pourtant, comme tout le monde, j'ai été incapable pendant longtemps de situer cet archipel. Bermudes sonnait à mon oreille comme une émeraude... Je suis heureux d'être là. Et fier aussi.

Dans le port de Saint-George, aux Bermudes,
à bord de Balum, mardi 4 mai 2004.

 

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