BALUM vers le Banc d'Argent

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Onzième bouteille à la mer - mai-juin 2004

Bonheurs et misères d'une transat des Bermudes aux Açores

Musique : Yannick Noah - Simon Papa Tara
Compil de Beauzelle - L5, Billy Crawford, Beatles, etc.
Musiques traditionnelles de Tahiti

Je suis arrivé aux Bermudes le 29 avril, j'en partirai le 12 mai. Pendant quelques jours, il va y avoir un temps de cochon dans Convict Bay, le mouillage de Saint-George : je suis au nord-ouest de ce plan d'eau en théorie abrité, mais le vent tourne au sud-est et lève un clapot détestable ; je suis coincé à bord, comme mes voisins de mouillage d'ailleurs. On préfère tous veiller, au cas où l'ancre déraperait. Le vent souffle entre vingt-cinq et trente-cinq nœuds. Je reste deux jours et trois nuits sur Balum, à lire et à mal dormir, chahuté par ces petites vagues cassantes. Je pourrais aller à terre avec l'annexe, le quai est à quelques encablures mais il pleut souvent et j'ai peur d'être trempé des pieds à la tête par le crachin et les embruns. Patience...

Le beau temps est revenu. Peu à peu Convict Bay se remplit, des Français rejoignent Balum sur la route des Açores. Certains viennent de Saint-Martin, d'autres des Bahamas. Jacques, de Saudade, est là. Nous nous sommes rencontrés devant un ordinateur à Madère et depuis nous nous sommes revus régulièrement. Il est arrivé fatigué, après s'être fait secouer et doucher en venant de Saint- Martin ; avec mon annexe je l'ai rejoint à son bord pour l'aider à la manœuvre : il faut se mettre au quai pour aller faire les papiers à la douane, c'est obligé, au cas où les officiels souhaiteraient fouiller les cales. Son anglais est déficient, pour une fois c'est moi qui sers d'interprète. Dans les jours qui suivent, nous nous promenons dans l'île en bus ou avec le ferry, nous goûtons la cuisine bermudienne à bord ou au bistrot.

Je commence à me sentir bien ici, je prends mes habitudes. La petite communauté française du port s'échange les bons tuyaux pour la suite ; il y a là la famille "Mars", le Super Maramu Pikouissimo et puis Laurian avec Denise et Jean-Claude, le First 35 Alceste et son skipper Christian, et d'autres encore. Je visite le Musée Maritime au Royal Naval Dockyard : un musée très classique, mais j'y suis venu parce qu'un bassin, d'anciennes douves, héberge une dizaine de grands dauphins apprivoisés ! Bon, d'accord, ils seraient mieux en mer, mais là, des groupes de gamins encadrés par des animateurs viennent se baigner et on a l'impression que tout le monde est heureux, gamins et dauphins.

Je fais une découverte essentielle : aux Bermudes les hommes portent des bermudas ! Avec Jacques, nous arpentons les rues de Hamilton, et nous croisons souvent des hommes d'affaires portant veston bleu marine avec blason genre Cambridge, chemise bleue, cravate et, plus inattendu, bermuda. Aux pieds, pas de claquettes shocking, chaussettes montantes et chaussures bien cirées sont de rigueur. Tout à coup Jacques attrape son appareil photo, traverse la rue et interpelle un passant : il a repéré ce banquier rebondi, sa tenue est impeccable, mais son bermuda est rouge vif ! Avec son anglais approximatif, Jacques lui demande de prendre la pose, ce qu'il fait volontiers.

Cette nuit, le vent a tourné au sud-ouest. Voilà qui est de bon augure. Je vais profiter encore des Bermudes. Je fais des lessives, les pleins d'eau et de fuel, les dernières courses, pommes, yaourts et œufs frais. Je vais quatre ou cinq fois à la Poste Restante de Hamilton : j'attends une lettre partie de France le 20 avril. Le 11 mai, toujours rien. Trois semaines... Un coup du Triangle des Bermudes ? Je demande à faire suivre la lettre vers la France. Peu à peu les équipages se préparent, c'est le mois de mai, la bonne époque pour traverser. L'anticyclone est accroché aux Bermudes, très peu de vent, mais chacun se dit qu'il vaut mieux profiter du beau temps, quitte à faire tourner le diesel. Balum est tout propre et moi je suis prêt pour un voyage de mille sept cents milles nautiques. Les Bermudes m'ont enchanté, c'est une escale qui tranche complètement avec les Antilles. Il fait beau, plus frais, les cocotiers sont moins nombreux, mais l'eau est partout d'un bleu incroyable. Les gens que je croise dans la rue me disent : "how are you ?" et j'ai envie de leur répondre "bonjour chez vous !" (c'était le salut traditionnel dans le feuilleton "Le prisonnier"...).

Mercredi 12 mai, 8 heures du matin : j'appelle Bermuda Harbour Radio à la VHF : "I'm going to leave Bermuda..." L'opérateur me demande où je vais, combien de temps je compte mettre pour la traversée et je ne comprends pas bien ce qu'il me répond ; il me parle de "stand by", je n'ai pas saisi s'il faut attendre avant de partir ou bien s'il faut simplement rester à l'écoute. Je fais le tour des autres bateaux pour les saluer et je me dirige doucement, l'air de rien, vers la Town Cut, la passe pour sortir vers le large. Et je me fais rappeler à l'ordre de façon sèche : "Balum, I told you to wait !" Et je vois arriver du large un énorme paquebot de croisière... La passe est tellement étroite qu'il n'y a pas de place pour nous deux. Piteux, je retourne vers la zone de mouillage. Le paquebot fait sa manœuvre et un quart d'heure plus tard, l'opérateur me rappelle, j'ai la clearance pour partir, ouf ! Je lui dis "Thank you very much, and good bye Bermuda !" Quatre voiliers partent en même temps pour les Açores ce matin : Saudade, Pikouissimo, Alceste et Balum. Beau temps, mer belle, mais vraiment très peu de vent.

Premier jour : je fais sept heures de moteur pour m'éloigner des Bermudes ; la bonne stratégie, c'est de monter vers le nord, plutôt que de suivre la route "orthodromique" (en ligne droite, quoiqu'une ligne droite sur un globe...) vers les Açores. On peut éviter ainsi les zones de calme. C'est la théorie, on verra bien. Pour le moment, l'anticyclone des Bermudes est efficace, le vent ne souffle pas fort. Soixante-quatorze milles nautiques en vingt-quatre heures. Avantage : la nuit est paisible.

Deuxième jour : trois heures et demie de moteur dont une heure au milieu de la nuit, calme plat, soixante-douze milles nautiques en vingt-quatre heures. J'ai vu une baleine à deux cents mètres, elle était immobile à la surface, elle a dû m'entendre arriver et elle a plongé. Je raconte cet épisode tranquillement, comme si je voyais des baleines tous les jours... Je lis ; j'ai attaqué les "Chroniques Martiennes" de Ray Bradbury. J'ai un gros stock de polars échangés avec Katak et Vanikoro ; des livres pas fatigants à lire et en ce moment c'est ce qu'il me faut ! J'attaquerai Proust dans quelques jours.

Troisième jour : deux heures de moteur, journée pépère, mais le vent tourne au sud-est en fin de journée ; vu que je monte au nord-est, Balum est au travers, on accélère ! Comme j'ai au moins un nœud de courant favorable, nous allons faire des pointes à plus de 7 nœuds : cent un milles nautiques en vingt-quatre heures, la moyenne remonte. Au petit matin, le vent retombe, l'anticyclone est toujours là, 1030 millibars au baromètre : il fait beau, je ne me plains pas. Pas un nuage d'un bout à l'autre de l'horizon. Quatrième jour : depuis hier j'ai tangonné le génois, voiles en ciseaux, mais peu à peu le vent a tourné à l'ouest, j'empanne la grand-voile. Le vent est rarement au- dessus de 10 nœuds, pourtant nous marchons bien, d'autant plus que le courant nous est toujours favorable. A minuit, je sors faire un tour d'horizon pour la veille aux cargos - je n'en ai vu qu'un depuis le départ des Bermudes - et j'assiste à un spectacle magnifique : une dizaine de dauphins sont en train de jouer dans le sillage rendu complètement phosphorescent par le plancton. Chaque dauphin devient une fusée étincelante d'une rapidité incroyable, ils ont l'air de trouver ça aussi beau que moi ! Quatre-vingt-onze milles nautiques en vingt-quatre heures. Anticyclone, beau temps ; pendant la nuit, quelques nuages sont passés, mais au petit matin, ciel uniformément bleu.

Cinquième jour : encore une journée très anticyclonique, je démarre par trois heures de moteur. L'après-midi, les voiles se gonflent doucement, mais je commence à voir le baromètre frémir, 1029, 1028, 1027... Le vent va tourner au nord-nord-ouest pendant la nuit et monter à 18-25 nœuds. Nuit difficile pour le dormeur, mais Balum avance ! Au petit matin, une demi-heure de manœuvres : prendre un ris dans la grand-voile, détangonner le génois, l'établir avec deux tours. Vers 7 heures du matin, nous passons le 38ème parallèle, je commence à virer du cap nord-est au cap est-nord-est pour me placer demain à la latitude de Florès, la première île des Açores, sur le 39ème parallèle. Balum navigue entre 6 et 7 nœuds, le temps a tourné au gris. Cent dix-huit milles, baromètre à 1026, on se rapproche du but.

Sixième jour : à partir de la fin de la matinée jusqu'au lendemain matin, vent entre force 5 et 7, avec des rafales. La mer est hachée et désordonnée, le courant y ajoute probablement sa touche. La nuit va être épouvantable. Pour me remonter le moral, je me répète que je suis là pour mon plaisir, que personne ne m'a obligé... Comme je n'ai plus beaucoup de voiles et que je suis au près serré, je ne parcours que cent dix-neuf milles. Je n'ose pas larguer un ris, le vent passe parfois de 20 à 30 nœuds en quelques minutes et pourtant le baromètre remonte : 1030 ce matin ! Pour oublier, je lis... Un troupeau de globicéphales vient traîner paresseusement autour de Balum, indifférent aux vagues. La nuit, le plancton phosphorescent est magnifique dans les déferlantes. Il y a quand même ça de bien...

Septième jour : le vent tourne, je voulais monter jusqu'au 39ème parallèle, je redescends. Le vent baisse, la température aussi : il fait 19° ! Le temps s'améliore lentement, mais la mer reste gris plomb comme le ciel, et mon moral vaut à peine mieux. En début de soirée, le vent tombe à 10-15 nœuds. J'aperçois des bouts de bleu entre les nuages. La nuit arrive avec des étoiles et le vent baisse progressivement. J'en profite pour dormir, mais à 5 heures du matin, le pilote n'arrive même plus à tenir le bateau en ligne droite, les voiles se dégonflent, je démarre le diesel. J'ai parcouru quatre-vingt-trois milles en vingt-quatre heures, dont quatre heures au moteur et je suis crevé, ma nuit a été trop courte.

Depuis la République Dominicaine, j'écoute attentivement la météo marine et la situation sur l'Atlantique nord : la position des anticyclones, les déplacements des dépressions. Finie la belle époque des alizés et des Antilles où les prévisions étaient trop prévisibles : c'était invariablement vent de nord-est force 4 à 5 ! Je naviguais presque tout le temps au portant. Ici j'ai la sensation d'être au près serré les deux tiers du temps, le vent s'ingénie à souffler de là où je veux aller ! C'est trop injuste... J'ai vu mon quatrième cargo depuis les Bermudes, quatre dont deux sans radar - je le sais car mon détecteur klaxonne quand un faisceau radar le balaie. Ma statistique personnelle me permet de dire que la nuit ils semblent toujours activer leur radar, mais cette hypothèse ne me rassure qu'à moitié.

Huitième jour : la journée a démarré par trois heures de moteur. A midi, toutes voiles dehors, je me traîne. Un zéphyr de 5 à 6 nœuds pousse Balum à 2,5 nœuds, au moins c'est reposant. La mer est calme, malgré une grande houle. Le soir, à nouveau deux heures de moteur. Soirée tranquille, le ciel est limpide et plein d'étoiles, la Voie Lactée bien nette. Je traverse des champs de méduses qui s'illuminent dans le sillage phosphorescent du bateau. Je regarde un DVD de Spielberg et je me couche. Je dors profondément. Au matin, je constate un courant incroyable : avec neuf nœuds de vent, Balum va à 7 nœuds : des performances de bateau de course, mais dans les 7 nœuds, 3 sont sans doute dus au courant ! Ce courant rend la mer toute frémissante, elle me rappelle le chenal du Four ou le raz de Sein, à un détail près, nous sommes à mille cinq cents kilomètres de la terre la plus proche. Le Gulf Stream n'est pas un mythe. Quatre-vingt-huit milles. Baromètre à 1023 millibars. Il reste moins de mille milles nautiques pour les Açores.

Neuvième jour : bonne journée, le vent va faiblir doucement, mais pas suffisamment pour qu'on se traîne et le courant est toujours là. Je me couche vers 21 heures, tout va bien, petit vent sud-ouest de 8-9 nœuds et des étoiles. Un coup d'œil à 23 heures, impeccable. Minuit et demie, branle-bas de combat : le vent a tourné de 180°, nord-est 22-23 nœuds ! je prends un ris dans la grand-voile, deux tours dans le génois. La mer n'a pas eu le temps de se former, je me recouche. 2 heures du matin, le vent s'installe à 25-30 nœuds. Je prends un deuxième ris dans la grand-voile. Jusque vers 5 heures, le vent va souffler entre 26 et 32 nœuds, force 6-7. Finie la bonne nuit de sommeil ! L'aube arrive, le temps s'améliore progressivement, mais le ciel est bouché et les prévisions météo n'annoncent pas d'amélioration. Cent vingt milles.

Depuis les Bermudes, j'observe souvent les oiseaux de mer : les puffins, de grands oiseaux bruns qui planent au ras des vagues et que je ne vois jamais se poser et puis les pétrels, ces petits oiseaux sombres au croupion blanc qui évoquent une grosse hirondelle. Mais je ne vois plus de poissons volants, je n'en trouve plus sur le pont au petit matin. Ils ont sans doute tous été mangés par les pétrels et les puffins. J'ai vu une grosse tortue brune qui se bronzait en surface.

Ah, j'allais oublier, trois baleines à bosse et quatre cachalots me suivent toute la journée depuis une semaine. Je plaisante.

J'en suis à mon sixième cargo. Ils m'ignorent car ils ne doivent pas me voir, mais moi je les guette du coin de l'œil.

Dixième jour : le vent baisse, progressivement je largue les ris de grand-voile, je déroule le génois. Le vent diminue encore et s'établit pour la nuit entre 8 et 10 nœuds, la mer s'aplatit ; j'apprécie. Cette nuit, vers 1 heure du matin, j'aperçois les feux d'un bateau pas très loin, sur l'arrière tribord : un feu blanc, un feu rouge et un feu jaune clignotant. Je me jette sur mon code de la mer : un sous-marin français ! Je ne comprends pas, vu son déplacement je devrais voir son feu vert plutôt que le rouge, ou même ni l'un ni l'autre, mais seulement son feu blanc de poupe. Je prends sa position au compas de relèvement, pratiquement fixe. J'en déduis qu'il a dû passer près de Balum. Pas de radar et pas de sonar non plus ; normalement les sous-marins émettent un bip caractéristique qu'on n'entend qu'à l'intérieur du bateau, les Brestois qui naviguent au large de l'Ile Longue le connaissent bien. Je reste longtemps dehors à le surveiller à la jumelle et je n'en saurai jamais plus. J'ai passé la longitude 50° en allant vers l'est et du coup je me mets en heure TU-2 ; les Antilles, c'est TU-4, les Bermudes TU-3 et les Açores sont en TU. J'approche tout doucement du TU+2 de la Bretagne. Du coup ma journée ne dure que vingt-trois heures. J'entre enfin dans la zone météo "Ridge" ; depuis la République Dominicaine, je n'étais plus dans des zones couvertes par la météo marine de Radio-France-Internationale, alors je faisais des extrapolations à partir des zones les plus proches. J'ai parcouru neuf-cent cinquante-huit milles depuis les Bermudes et il me reste huit cent treize milles pour Florès. Je suis presque arrivé ! Je m'éloigne des Tropiques, du coup les journées s'allongent : finis les crépuscules à 18 heures, maintenant la nuit arrive vers 21 heures et le soleil se lève vers 6 heures. C'est appréciable, comparé à ces nuits qui n'en finissaient pas.

Onzième jour : c'est la pétole, la calmasse, pas de vent ou si peu : force 1... Je m'inflige 8 heures de moteur, en espérant atteindre des régions plus ventées. Un petit vent de 8-10 nœuds va se lever avec le coucher du soleil et la nuit va être parfaite, mer plate, sommeil ! Quatre-vingt-quinze milles en vingt-quatre heures.

Le vent se lève doucement en début de matinée et les nuages se font discrets. La météo annonce du vent de sud-ouest, il est franchement nord-est. Attendons la suite... J'ai fini par trouver dans la bibliothèque du bord le nom de ces étranges animaux marins à voile, ce sont des "physalies". Mais je n'en vois plus. Ont-elles aussi été mangées par les puffins et les pétrels ?

Douzième jour : c'est le jour du n'importe quoi, question météo. Je vais passer mon temps à prendre des ris, larguer des ris, puis démarrer le diesel pour cause de pas de vent et l'arrêter trois quarts d'heure plus tard parce qu'il y a 20-25 nœuds de vent... Le vent de sud-ouest arrive avec presque vingt-quatre heures de retard, évidemment à 4 heures du matin. Manœuvres... Au début la mer est suffisamment confortable, je vais terminer ma nuit, mais au petit matin, ça décoiffe. Tant mieux, on avance. Balum ne fait pas des moyennes extraordinaires, avec ces alternances de rafales et de pétole, alors quand il accélère, je me cramponne aux coussins mais je suis content. Une grande bande de dauphins communs vient faire le spectacle dans les vagues. Quatre-vingt-neuf milles nautiques en vingt-quatre heures. Florès approche, bientôt dormir au calme...

Treizième jour : journée moche... vent force 6, ciel totalement bouché, bruine, mer forte, des vagues de trois à quatre mètres. Comme je suis au portant, c'est à peu près supportable, mais je reste au chaud dans le bateau. Dans la soirée le vent baisse et tourne progressivement du sud-ouest au nord : je vais me coucher serein, je n'aurai pas à manœuvrer pendant la nuit. La mer est complètement ébouriffée, le vent ayant tourné de presque 180°, la houle et les vagues ont essayé de suivre et le résultat est une vraie pagaille. Je dors quand même. Au petit matin, le vent baisse encore et tourne. Je me retrouve au près serré, une fois de plus. La météo me dit que le vent vient du nord-ouest, pour moi en ce moment il est nord-est ! Le scénario prévu pour la journée est le même qu'hier, mais à l'envers : vent nord-ouest 3 à 5 tournant au sud 4 à 6. Avec les vagues d'hier qui ne se sont pas encore calmées, nous allons jouer une fois de plus aux montagnes russes ! Cent cinq milles nautiques en vingt-quatre heures. Il fait beau, mais on annonce des grains. Le matin il fait 18°, j'ai froid !

Quatorzième jour : la pagaille s'amplifie. Pour commencer, calmasse pendant toute la journée, je fais plusieurs heures de moteur. Puis le vent se lève doucement en fin de journée, 12 nœuds, 15 nœuds, 20 nœuds vers 8 heures du soir. De 2 heures du matin à 7 heures, il va y avoir du force 7-8, avec quelques accalmies à force 6-7. J'ai bien dû dormir trois heures en tout, en additionnant les petits sommes d'un quart d'heure, calé sur un coin de la banquette... Evidemment la mer fait aussi son intéressante et Balum saute dans tous les sens. Il y a des rafales à 37-38 nœuds. Je regarde le baromètre qui descend : quand va-t-il commencer à remonter ? Vers 8 heures du matin, il n'y a plus que du force 6, j'ai l'impression que le vent s'est arrêté. Nuages, brouillasse, bruine. En résumé, qu'est-ce que je m'amuse ! Cent dix-huit milles en vingt-quatre heures.

Des journées pareilles devraient me dégoûter à jamais de remonter sur un bateau. Je me souviens de ce retour de Santander vers Bénodet, il y a quelques années : le coup de vent avait démarré en pleine nuit. Shaka, le prédécesseur de Balum, était un voilier léger de 8,30 mètres qui bouchonnait sur les vagues. J'avais fini par rouler complètement la grand-voile et je n'avais plus laissé qu'un petit coin de génois. Le pont était en permanence submergé par les embruns, les déferlantes, et, pire encore, gîté à 30° ou 40° ! Pour ne plus craindre de passer par-dessus bord, je m'attachais aux filières avec une écoute, en plus du harnais constamment accroché sur un rail de fargue. Pénétrer à l'intérieur pour faire le point avec le GPS ou prendre une barre de céréales devenait une expédition, je rampais pour atteindre la table à cartes, et une fois là, je ne rêvais plus que de sortir, ballotté comme dans le tambour d'une machine à laver. La punition avait duré vingt-quatre heures. Je m'étais dérouté pour atterrir à Port-Manech : l'embouchure de l'Aven étant très facile d'accès, j'évitais ainsi tous les récifs entourant l'archipel des Glénan. Ficelé dans le cockpit, j'avais eu tout le temps de remâcher ma situation tragique. Pas moyen de lire, pas possible de cuisiner : engoncé dans mon ciré, ma seule préoccupation était d'empêcher l'eau de me dégouliner dans le cou ou dans les bottes. A bien y réfléchir, le voilier sous pilote automatique s'en sortait très bien sans moi, la voilure était adaptée au temps, et le vent, ayant tourné au fil des heures, devenait plus maniable. Mais le moral du captain sombrait. J'avais pris les bonnes décisions pour réduire les voiles ou modifier mon cap, je n'avais pas commis d'imprudence, pourtant, peu à peu mes rêvasseries tournaient au cauchemar. Dans la soirée, en vue de la côte bretonne, une conclusion évidente s'était imposée à moi : j'arrêtais le bateau, fini le masochisme ! J'avais passé la fin de l'étape à construire en pensée une très belle pancarte de bois verni : "A VENDRE" ! Enfin, dans l'obscurité, j'avais jeté l'ancre dans la rivière, à l'abri du vent. Nuit incroyablement silencieuse, pas une ride sur l'Aven, et des spaghettis sauce bolognaise, le bonheur ! Dès le lendemain matin, j'avais oublié ma pancarte. Quelques jours plus tard, je racontais mes exploits, très satisfait au fond de moi de l'issue de l'aventure. Le bateau s'était très bien comporté, et le captain n'avait pas fait de bêtises. Incidemment, je m'observais en train de réécrire l'histoire, gommant ces heures noires et les réduisant à un épisode difficile où notre héros avait serré les dents pour affronter son destin. Au fond, cette capacité à ne garder que le positif, à effacer le lugubre, est une vraie qualité : je suis là, entre les Bermudes et les Açores, temps gris, mer forte, humeur maussade, et pourtant je ne laisserais ma place pour rien au monde.

Quinzième jour : cette journée n'est que la suite de la précédente ; force 5-6, mais la mer déferle moins. Trois vagues sur l'arrière, un petit moment confus, puis quatre vagues sur tribord et on recommence, mais dans le désordre... Certaines vagues font quatre ou cinq mètres, je les ignore. Des nuages au ras de l'eau limitent la visibilité à un mille, parfois cinq cents mètres. Par moments il bruine - voilà qui rince les voiles...Dans la soirée, le vent va baisser à 20-22 nœuds. Je me couche à 9 heures du soir, dodo jusqu'à 6 heures du matin : ah que j'aime !

Il faut quand même que je vous dise un secret : je me lève de temps en temps pendant mes nuits en mer... En fait je règle mon réveil pour faire des sommes d'une heure trente ; il sonne, je sors faire un tour d'horizon pour vérifier qu'il n'y a pas de cargo, je regarde le réglage des voiles, éventuellement je mets un petit mot dans le journal de bord et cinq minutes après je suis de nouveau sous la couette. Je me suis rendu compte à la longue que mon sixième sens reste en éveil la nuit. Si un problème survient, changement de la direction ou de la force du vent, pluie, bruit inhabituel, je me réveille. Pour les cargos, le détecteur de radar est très efficace. Quand la mer et le vent sont d'accord, je dors bien...

Dans la nuit le vent va baisser jusqu'à 12 nœuds, mais j'ai eu la flemme de larguer les ris. Balum se traîne mais c'est si reposant ! Après tout ce vent qui est venu de toutes les directions, la mer continue à se trémousser. J'essaie de faire avec, malgré le ciel toujours bas. On est fin mai, c'est la meilleure période pour être dans ces parages. C'est le Guide qui l'a dit. J'imagine avec effroi le reste de l'année. Cent six milles en vingt-quatre heures. Il reste trois cents milles pour Florès, à peine un Golfe de Gascogne !

Seizième jour : drôle de journée ! Comme tous les jours à 9 heures 45 (TU-2), j'écoute la météo marine présentée sur RFI par Arielle Cassim. Les prévisions sont moches sur l'Atlantique nord en ce moment, mais grand bonheur ! Arielle lit un petit message après la météo : "Un petit message à Didier, de la part des terriennes, un petit bonjour des terriennes qui saluent le marin de Balum, de la part de Claude, Claude et Anne ; bon vent à tous les autres qui sont en mer..." J'enregistre comme d'habitude la météo sur un dictaphone, c'est mauvais comme prise de son, d'autant plus que dehors, les vagues tapent, les voiles ronflent. Mais ce n'est pas grave, j'écoute, je réécoute le message et j'en suis tout ému.

Pour fêter l'événement, tout un troupeau de dauphins vient sauter autour de Balum, ils vont rester pendant presque une heure à faire des cabrioles et des sauts. Je les revois trois ou quatre fois dans la journée. Un moment après, la grand-voile a une drôle d'allure ; la manille qui connecte la bôme, le mât et la grand-voile a disparu. Elle était assurée avec du fil d'inox... Je me dépêche d'en mettre une autre. Ouf ! Il n'y a rien eu de dramatique, il était temps. Les dauphins me regardent me démener. La série continue. Le pilote automatique commence à donner des signes de fatigue. C'est le numéro trois que j'ai acheté à Saint-Martin il y a quelques semaines. Mais apparemment, ma nuit par force 7-8 l'a achevé. Ses petits engrenages en plastique ont perdu des dents. Pendant un moment, j'essaie de l'aider, de l'assister, mais je renonce. Je le remplace par le vieux pilote numéro un, celui qui était sur Balum quand je l'ai acheté. Il tombe en panne lui aussi au bout d'une heure ! Je commence à ruminer de sombres pensées, j'imagine le captain rivé à la barre pendant des jours et des nuits pour arriver aux Açores, affamé et épuisé. Je pense au pilote numéro deux que j'avais acheté spécialement pour ce voyage : j'avais fini par le remiser dans un coffre, il déraillait complètement. Je le branche, je l'allume et il marche. Je ne respire plus, j'essaie de ne rien penser, de peur qu'il ne capte ma stupéfaction et mon incrédulité ! Un miracle ? L'effet Arielle Cassim ? Désormais j'écouterai la météo marine avec respect, même quand elle m'annoncera des horreurs.

L'après-midi, petit vent et une mer qui se calme : je tangonne le génois façon alizés, il va rester ainsi toute la nuit. Le vent oscille entre 10 et 15 nœuds et je dors bien... Cent milles en vingt-quatre heures.

Dix-septième jour : mais qu'allais-je faire sur cette galère ? La journée démarre plutôt bien, le pilote numéro deux continue à faire preuve de bonne volonté, mais il renonce en milieu de journée. Je suis condamné à barrer à la main jusqu'aux Açores ! Jour et nuit ! Je me résigne, bien obligé. Dans ce genre de situation, je me rends compte que la bête humaine a des ressources mentales sans limites. Je devrais me garer sur le bas-côté et appeler un taxi, mais non, je barre pendant des heures et des heures.

Il faut quand même que je dorme. Je fais des essais à la tombée de la nuit : je choque la grand-voile, je borde le génois à moitié roulé à contre, je mets un sandow sur la barre pour qu'elle soit à peu près dans l'axe et ça marche ! Le bateau va presque dans la bonne direction - je suis au travers du vent - à environ 3 nœuds. Comparé aux 6 nœuds que fait Balum quand je barre, ce n'est pas si mal, d'autant plus que je vais m'octroyer une nuit complète de sommeil. Lever 5 heures 30 du matin. Le vent est remonté en fin de nuit. Je reprends la barre à 6 heures, courageusement. Les Açores approchent.

Dix-huitième jour : Je barre... Les vagues créées par le vent de sud-ouest ajoutées à la houle de nord-ouest créent un joyeux champ de bataille pas très reposant pour le barreur. Mon projet, en partant des Bermudes, était de viser Florès, la première île, encore sauvage, où peu de voiliers s'arrêtent. J'attends la météo marine et là je modifie mes plans. Le vent a l'air de se stabiliser au travers pour aller directement vers l'île de Faial, dans la marina de Horta. Là j'espère que je pourrai faire réparer un des pilotes. Cette décision me rallonge la route restante de cent trente milles, mais autant en finir avec la galère !

Je barre. Le vent va encore monter, tout l'après-midi force 6. Le ciel est gris. Quand la brouillasse se dissipe je vois de grands nuages d'altitude. Du crachin, de la pluie de temps en temps. Je suis en ciré complet du matin au soir.

Pour me maintenir éveillé, je mets de la musique : La Callas ou les Dubliners, de la "Country" ou de la musique tahitienne, tout est bon ! J'écoute les paroles des chansons et je rêvasse, je pense à la suite du voyage. J'améliore ma technique pour faire marcher le bateau tout seul. Je m'arrête de barrer de temps en temps pour la météo, pour manger, pour une sieste express et je travaille les réglages. Je roule plus ou moins le génois, je choque plus ou moins la grand-voile, je tends plus ou moins le sandow qui retient la barre et c'est de mieux en mieux : à quelques degrés près, Balum est sur son cap et avance à 4 nœuds. À nouveau, nuit complète de sommeil avec la barre amarrée. Le bateau est secoué, mais il avance. Je ne sais plus très bien la vitesse du vent, l'anémomètre ne marche plus. La loi des séries...

Depuis quelques jours, je vois souvent des dauphins autour du bateau, mais ce matin, c'est le "top" : une grande orque passe tranquillement devant l'étrave de Balum, son dos et son immense nageoire dorsale hors de l'eau. Je n'en avais jamais vu !

Dix-neuvième jour : il reste cent quatorze milles pour Faial. La météo s'améliore lentement pendant la journée. La mer, qui était forte, commence à s'apaiser, le ciel tourne au bleu, le vent passe de force 5-6 à force 4-5. J'en ai marre de barrer. Je me donne des échéances, une heure, une demi-heure, un quart d'heure...

Encore une nuit avec la barre amarrée. Au petit matin, il reste vingt-sept milles pour Horta. Il fait beau, vent force 3-4. Le vent a tourné, je suis près du vent, et au près serré je peux abandonner le gouvernail sans faire de réglages bizarres ! Je mets un tendeur sur la barre et je vais pouvoir préparer tranquillement Balum pour l'arrivée : remettre de l'ordre dans le carré, sortir les amarres, les pare-battage. Et l'anémomètre remarche...

J'approche d'une terre : beaucoup d'oiseaux, des puffins et même un goéland, le premier depuis que j'ai quitté la Bretagne. Et puis un voilier et des bateaux de pêche, et de gros bateaux pneumatiques qui promènent des touristes pour du "whale watching". J'arrive à Horta à midi le lundi 31 mai. Je me mets à couple de Révérende, un yacht de vingt-cinq mètres, au quai de la douane.

Mes voisins m'aident à m'amarrer, m'offrent un café. C'est fini. Je suis aux Açores. Balum a parcouru mille neuf cent neuf milles depuis les Bermudes en dix-neuf jours : à peu près cent milles par jour, même moyenne que pour la traversée Cap Vert - La Barbade, pour laquelle j'avais mis vingt jours. Il faut croire que je m'accoutume, je suis content, pas plus. Soulagé, content d'en finir avec ces journées rivé à la barre, mais pas si fier que ça. Le héros s'habitue à ses exploits...

La fin du printemps est la période où tous les voiliers traversent l'Atlantique vers l'Europe, et la marina est bondée. Les bateaux sont empilés contre les quais, trois à couple, parfois quatre. Comme Balum est un petit bateau, on me propose un ponton, avec eau et électricité. Je suis à quelques mètres de Saudade : je vais fêter ma traversée avec Jacques en buvant du cidre breton bien frais que j'avais mis au frigo. La Bretagne se rapproche ! Avec Jacques et Thierry, l'équipier de Pikouissimo, nous allons au Café Sport, chez Peter, boire une bière : la première est gratuite pour les nouveaux arrivants ! Cet établissement est une institution dans le monde de la voile. Depuis 1953, il accueille les marins de passage, il sert de relais pour le courrier, il dépanne, bref il est indispensable. Le grand-père Peter, puis le fils José et aujourd'hui le petit-fils Peter ont tenu et tiennent ce bistrot qui est tapissé de fanions, de souvenirs, de photos de tous ceux qui sont passés là. Les premiers temps, quelques bateaux faisaient relâche à Horta chaque année, aujourd'hui on compte mille passages par an. Peter a ouvert un magasin de souvenirs avec gadgets et tee-shirts au logo "Café Sport", il organise du "whale watching", il a même créé un cyber-café.

Autre grande tradition de Horta, les peintures sur les quais. Chaque équipage en escale, si possible de retour des Antilles ou même d'un tour du monde, laisse une fresque pour commémorer son passage. Dans tout le port, chaque surface de béton disponible, horizontale ou verticale, en est couverte ! Il y a de tout, des choses toutes simples, le nom du bateau et des équipiers, mais aussi des dessins d'une invention étonnante et puis des chefs d'œuvre. Ces fresques racontent l'histoire de tous ces bateaux, des dauphins, des tempêtes, des couchers de soleil, du bonheur. Le monde entier est là, des équipages de Suède, d'Australie, de Hawaii, de Pologne, de Nouvelle Zélande, de Bretagne ! Je suis très ému d'avoir conduit Balum ici, de faire partie de ce club. Je vais bien sûr faire ma petite fresque sur le quai. J'en avais fait une sur le quai de Porto-Santo, ma première île, au début du voyage. La boucle est presque bouclée.

J'ai commencé à fréquenter le cyber-café local et je reçois des nouvelles des copains navigateurs ; plusieurs d'entre eux sont en train de rallier les Açores, ils terminent la boucle atlantique comme Balum pendant que d'autres continuent. Hobbit et Magael descendent vers le sud des Antilles pour la saison des cyclones, Persévérance a passé le canal de Panama il y a quelques jours, pour Funambule ce sera après-demain. Je rêve... Brigitte et Antoine de Persévérance piquent vers les Galápagos, puis sans doute l'île de Pâques ; et je rêve encore plus fort car l'île de Pâques est un très beau souvenir pour moi. Il y a une dizaine d'années à Noël, j'avais été invité là-bas à un "curanto", une espèce de méchoui à la mode pascuane. Je m'étais glissé dans la peau d'un ethnologue, à observer des rites étranges. Un bœuf entier avait cuit dans le four polynésien, avec des bananes, des patates douces. Tous les habitants de Hangaroa, le seul village de l'île, défilaient pour se faire offrir à manger. Certains arrivaient avec un plat, une assiette, d'autres avec un simple sac en plastique. On sait tout sur l'île de Pâques aujourd'hui : les moaïs, l'écriture rongo-rongo, la religion de l'homme-oiseau... Ce jour-là, j'avais pressenti qu'on ne savait rien sur cette civilisation, à part le vernis que les Pascuans veulent bien laisser entrevoir. Pendant huit jours, j'avais erré à pied, à cheval ou en 4X4 sur la lande pelée. Pas d'extraterrestres, pas de statues courant sur les volcans, et cependant la sensation intense d'être dans un lieu magique.

Mais revenons à Horta : j'ai fait réparer mon pilote automatique numéro trois et je crois que je vais le bichonner pour qu'il ramène Balum sans encombre en baie de Douarnenez ! L'anémomètre continue à fonctionner, à mon avis il nous avait fait une panne psychosomatique... Je rince et lave le bateau de fond en comble et il a très bonne mine. Le captain dort, fait la sieste et j'en ai besoin : je me rends compte que j'ai accumulé beaucoup de fatigue et de stress dans cette traversée, je récupère tout doucement.

La forme est revenue : j'ai plein d'énergie pour faire la peinture-souvenir de mon passage. Sur un dégradé de bleu, je peins la baleine de Balum et j'écris "Morgat - Le Banc d'Argent" avec deux flèches symbolisant l'aller-retour. Deux couches, séchage, photos, tout est bien !

La vie de ponton bat son plein. Avec Jacques de Saudade, Thierry de Pikouissimo, et quelques autres, nous nous offrons des petites soirées chaleureuses dans une auberge ou à bord de l'un ou l'autre des bateaux.

Peu à peu la transhumance des bateaux voyageurs revient vers l'est, vers l'Europe. Pour la plupart d'entre nous, la boucle se termine, l'heure des bilans approche. Il y a eu pas mal d'avaries pendant cette traversée. Tout à l'heure, quatre enrouleurs de génois gisaient démontés sur le quai, en cours de réparation. Beaucoup ont cassé des drisses, des pilotes automatiques, ont déchiré des voiles, ont eu des voies d'eau. Aucun doute, la transat retour est moins "relax" que l'aller !

Je m'apprête à une petite virée dans les îles autour de Faial et cette fois-ci j'espère que je vais naviguer au milieu des baleines : pour une fois je suis à la bonne époque dans une région réputée pour son abondance de cétacés !

Je suis parti il y a onze mois de Morgat. Aucune nostalgie, aucun regret, que des bons souvenirs. Par moments, je réalise que je suis aux Açores. Je fais toujours très attention à ne pas annoncer comme sûres et évidentes mes étapes suivantes : on ne sait jamais, le mauvais œil, la scoumoune... Mais là, je n'arrive pas à y croire, je suis arrivé à Horta, cette escale mythique ; même Joshua Slocum s'est arrêté ici ! Balum m'a conduit jusqu'à elle et je ne m'en suis pas trop mal sorti. Dans un mois je serai de retour, heureux de retrouver la Bretagne. Aujourd'hui j'ai la sensation que le contrat est rempli et bien au-delà ; depuis longtemps, malgré les aléas et les pannes de pilotes, je n'ai que des bonus.  

Dans le port de Horta, île de Faial aux Açores,

à bord de Balum, lundi 7 juin 2004. 

 

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